C’est dans ce contexte que s’inscrit celle qui cristallise aujourd’hui toutes les critiques en Europe : la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). En imposant aux entreprises européennes de publier des informations détaillées sur leurs impacts environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), cette directive aurait-elle créé un enchevêtrement réglementaire complexe, pavé de bonnes intentions mais difficilement opérationnel ?
Les entreprises peinent à répondre aux exigences de la CSRD face à des données souvent indisponibles ou devant être modélisées, ce qui soulève des doutes quant à leur crédibilité et ouvre la voie au risque d’écoblanchiment. Cependant, cela ne signifie pas qu’il faille céder à une logique de dérégulation ou à une simplification excessive. Le modèle américain de « race to the bottom » n’est pas une option pour l’Europe. Une alternative pragmatique existe : doter l’économie et la finance d’indicateurs robustes pour mesurer ces enjeux climatiques et sociaux, et en monétiser les impacts. Les investisseurs ont besoin de transparence pour évaluer et comparer les stratégies de résilience et de transition des entreprises.
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Gardons-nous donc d’un « choc de simplification massif », porté par le Competitiveness Compass qui sera présenté à Bruxelles le 26 février prochain. La solution n’est pas dans la dérégulation à outrance mais dans la construction d’un cadre d’analyse pertinent, équilibré et partagé. L’enjeu est clair : inscrire la durabilité dans la performance économique des entreprises tout en conciliant contingences de court terme et vision de long terme. Une transformation de cette ampleur nécessite d’aligner tous les acteurs : entreprises, investisseurs et pouvoirs publics. Si la finance ne peut, à elle seule, transformer le monde, elle peut néanmoins y contribuer en allouant efficacement le capital, un processus qui dépend avant tout de la qualité de l’information disponible.
Le cadre normatif européen porte des avancées majeures mais il doit surtout responsabiliser les acteurs, sans devenir un substitut à l’inaction. Le principal danger actuellement est l’absence de données fiables : sans elles, les investisseurs ne pourront pas prendre des décisions éclairées. Il est donc crucial de disposer d’un cadre normatif qui leur permette de produire et d’exploiter des informations pertinentes et comparables. L’objectif est clair : permettre un dialogue entre les entreprises et leurs financeurs dans un cadre d’analyse commun, accepté et reconnu par tous.
Avec une CSRD sobre, la finance durable aura toujours des outils pour changer le monde
Dans une Europe façonnée par l’économie sociale de marché, définir et maintenir un référentiel propre, qui reflète cette réalité économique est crucial : il doit être un levier de compétitivité et non une source de bureaucratie excessive.
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Yves SAMUEL
Le report de la CSRD ne ferait que renforcer ce besoin criant d’analyse structurée et vérifiée. Une simplification est possible, et même souhaitable, dès lors qu’elle n’affaiblit pas l’ambition initiale qui est d’établir des cadres d’évaluation permettant d’objectiver la pertinence de la stratégie des entreprises en matière d’impact environnemental et social. L’enjeu dépasse les intérêts individuels des acteurs économiques : il s’agit de doter l’ensemble des acteurs économiques d’outils fiables pour construire, ensemble, une transition juste et efficace.
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