(Agence Ecofin) – Coalition regroupant 530 banques publiques de développement à travers le monde, la plateforme Finance in Common lancée il y a cinq ans, vise à renforcer la collaboration entre des banques publiques diverses par leur taille et leur géographie, mais alignées sur des objectifs communs de développement. Chaque année, un sommet Finance en commun (FICS) consolide les efforts techniques réalisés tout au long de l’année, favorise l’alignement stratégique, met en lumière les progrès concrets et engage des discussions politiques pour promouvoir des réformes internationales.
Dans un entretien exclusif accordé à l’Agence Ecofin, Adama Mariko, secrétaire général de Finance en commun et directeur exécutif adjoint à l’AFD, en charge de la mobilisation, des partenariats et de la communication, livre son point de vue et les perspectives sur les enjeux économiques et financiers africains et mondiaux.
Agence Ecofin : Finance en commun est une plateforme majeure réunissant les principaux acteurs du financement public pour l’Afrique et les pays en développement. Quels seront les axes prioritaires du FICS 2025 à Cape Town ?
Adama Mariko : Je suis très enthousiaste pour le FICS 2025. Depuis 2023, à notre réunion en Colombie, nous avons affiné un agenda international aligné sur les priorités des États via les Nations Unies et participé activement aux discussions techniques du G20. Malgré les défis, la COP 29 a montré que même un travail technique peut aboutir à des résultats politiques.
En 2025, notre objectif est de renforcer la capacité financière des banques publiques de développement (BPD) pour promouvoir des investissements durables. Les 530 BPD dans le monde représentent un bilan consolidé de 23 000 milliards de dollars, avec 2 500 milliards investis chaque année. Cependant, il existe un problème d’allocation : 80 % de ces ressources sont concentrées dans les pays du G20, tandis que l’Afrique, malgré ses 100 BPD, ne représente que 1 % du total.
Seuls 10 % des BPD ont une mission internationale, comme la Banque mondiale ou l’AFD, tandis que les autres se concentrent sur des priorités nationales. Nous travaillons à aligner leur double mandat : soutenir les politiques publiques nationales et contribuer à résoudre les enjeux globaux (climat, biodiversité).
L’équilibre géographique des BPD est notable : environ 20 % se trouvent en Afrique, Europe et Amérique, et 25 % en Asie. Mais leur capacité financière reste inégalement répartie. Pour 2025, nous cherchons à lever les obstacles à une meilleure allocation des ressources, à réduire les freins aux mouvements de capitaux et à mobiliser davantage de fonds privés grâce à la collaboration entre BPD nationales et internationales.
Cette année est stratégique : elle marque les 10 ans des accords de Paris, des ODD et du pacte d’Addis-Abeba. Nous espérons aligner ces cadres pour optimiser l’architecture financière internationale. Le FICS, organisé parallèlement au G20 en Afrique du Sud, offre une opportunité unique de travailler avec les ministres des Finances et gouverneurs de banques centrales sur des réformes cruciales.
En 2025, sous le leadership du Brésil et de l’Afrique du Sud, le rôle des pays du Sud sera central. Ces deux nations ont sollicité Finance en commun pour contribuer aux négociations internationales, du G20 à la COP30. Nous sommes déterminés à soutenir cet agenda ambitieux et à mobiliser les BPD pour relever ces défis.
Cependant, il existe un problème d’allocation : 80 % de ces ressources sont concentrées dans les pays du G20, tandis que l’Afrique, malgré ses 100 BPD, ne représente que 1 % du total.
AE : Vous avez parlé du G20, dont une réunion se tiendra en même temps que le FiCS en Afrique du Sud, pays qui assure la présidence du G20 en 2025. Avez-vous des attentes particulières vis-à-vis de cette présidence, notamment en matière d’accès au financement pour les pays africains ?
AM : Ce sujet est plus que jamais d’actualité. Le G20 reconnaît les difficultés d’accès au capital, que ce soit pour les pays africains ou pour d’autres régions comme l’Amérique latine et l’Asie du Sud. La question du financement international est cruciale, et la présidence sud-africaine s’inscrit dans la continuité des efforts du Brésil, qui a fortement impulsé des réformes.
Ces réformes visent notamment à renforcer les capacités des banques multilatérales, non pas uniquement par des augmentations de capital, mais en rationalisant leurs activités et en révisant certaines réglementations pour libérer des ressources supplémentaires. Ces moyens, bien que limités à 200 milliards de dollars par an, permettent de se concentrer sur des enjeux de développement, d’adaptation et de financement climatique. Une autre avancée importante concerne l’utilisation des droits de tirage spéciaux (DTS). Depuis 2022, ces ressources, initialement conçues pour répondre aux besoins monétaires des pays, peuvent désormais transiter par les banques multilatérales pour renforcer leurs fonds propres et accroître leur capacité d’emprunt. Ce mécanisme, soutenu par des négociations dans le cadre du G20, a déjà bénéficié à la Banque africaine de développement et à la Banque interaméricaine de développement, leur permettant de financer davantage l’économie africaine grâce à des innovations financières.
L’ampleur de ces avancées montre à quel point l’Afrique du Sud, en tant que membre du G20 et pays africain, joue un rôle central. Elle est aussi un exemple de transition énergétique et industrielle. En bénéficiant des premières initiatives JETP (Partenariat pour une transition énergétique juste, NDLR), bien que leurs résultats restent limités à ce jour, l’Afrique du Sud démontre comment concilier développement économique, autosuffisance énergétique et transformation des filières extractives vers des activités plus vertes et productives, tout en soutenant la formation des travailleurs pour accompagner ces mutations. Sa détermination et son leadership dans ces discussions inspirent d’autres pays africains et au-delà.
Par ailleurs, la Banque centrale sud-africaine, très impliquée dans les travaux du G20, explore des moyens de renforcer l’interopérabilité entre les banques nationales et multilatérales. L’objectif est de lever les obstacles qui freinent la mobilisation des financements internationaux pour qu’ils bénéficient davantage aux économies nationales. L’enjeu ne réside pas seulement dans la disponibilité des ressources, mais aussi dans les conditions d’accès à ces fonds. Les perceptions de risque et les coûts de financement prohibitifs placent souvent les pays en développement dans une trappe à développement.
L’accès au capital dépend aussi fortement du rôle des banques publiques nationales. Ces institutions sont cruciales pour attirer les investissements, car elles initient le processus de dérisquage des projets, soutiennent la création d’un secteur privé national solide et apportent des garanties indispensables aux banques privées. En leur absence, les banques internationales hésitent à financer des projets dans ces pays, et les priorités financières locales peinent à émerger.
En comprenant ces enjeux, la présidence sud-africaine du G20 a fait de ces problématiques une priorité, notamment lors des discussions à Cape Town.
L’accès au capital dépend aussi fortement du rôle des banques publiques nationales. Ces institutions sont cruciales pour attirer les investissements, car elles initient le processus de dérisquage des projets, soutiennent la création d’un secteur privé national solide.
AE : Le FiCS intervient dans un contexte où plusieurs rapports du FMI et de la Banque mondiale ont relevé une baisse de l’aide publique au développement (APD) à destination de l’Afrique, ainsi qu’un désengagement de plusieurs banques occidentales sur le continent. Quelles en sont les causes et quels impacts cela a-t-il eus sur le développement de projets en Afrique ?
AM : La question de l’APD et du retrait des banques internationales est cruciale. Concernant l’APD, il ne s’agit pas tant d’une baisse que d’une transformation. Entre 2015 et 2020, les crises internationales ont poussé les États à prioriser les contributions au système multilatéral, au détriment de l’APD bilatérale. Initialement, deux tiers de l’APD étaient bilatéraux, mais en dix ans, cette tendance s’est inversée, avec une forte orientation vers les fonds multilatéraux et verticaux comme le Fonds vert pour le climat ou le Global Fund for Education. Ce basculement pose des questions sur l’efficacité de ces mécanismes dans la redistribution des fonds et leur impact sur le terrain.
Les États ont également été contraints de rediriger leurs budgets en réponse à des crises comme la pandémie de Covid-19 ou la guerre en Ukraine. Ces priorités ont concurrencé les financements dédiés à l’APD classique. Malgré cela, les flux de financement durable continuent d’augmenter, notamment dans des secteurs alignés sur les Objectifs de développement durable (ODD) et la transition énergétique.
Concernant les banques internationales, leur retrait est davantage technique que stratégique. L’entrée en vigueur des réglementations comme Bâle III a imposé des contraintes de pondération des risques, rendant les investissements dans des zones perçues comme risquées peu rentables. Ces règles pénalisent les banques étrangères investissant dans des régions hors de leur juridiction, en augmentant considérablement le coût en capitaux propres.
Face à ces contraintes, de nombreuses banques internationales ont vendu leurs filiales africaines à des banques panafricaines ou nationales, mieux adaptées à la réglementation locale. Par exemple, des institutions marocaines ou ivoiriennes ont repris ces positions, transformant la structure actionnariale sans pour autant réduire les capacités de financement. Ces nouveaux actionnaires, souvent plus proches des réalités locales, permettent de mieux répondre aux besoins de financement endogène.
En conclusion, le retrait des banques occidentales est une conséquence de contraintes réglementaires, et non un abandon stratégique. Ce mouvement a permis aux banques panafricaines de jouer un rôle plus central, renforçant l’autonomie financière du continent.
Le retrait des banques occidentales du continent est une conséquence de contraintes réglementaires, et non un abandon stratégique.
AE : Et quelle est l’opportunité pour l’Afrique dans ces dynamiques ?
AM : Une grande capacité d’innovation émerge en Afrique. Les banques panafricaines, comme Ecobank, certaines banques marocaines, ou des consortiums régionaux, montrent plus d’audace en investissant, en rachetant des banques ou en créant de nouveaux réseaux bancaires. Cela représente une excellente opportunité pour le financement du continent.
Les banques publiques africaines jouent également un rôle clé. Par exemple, des guichets uniques sont créés pour financer l’entrepreneuriat dans des secteurs peu desservis, comme les très petites entreprises ou le secteur informel. Le système public offre des garanties pour encourager les banques commerciales à financer ces entreprises récemment formalisées.
Dans le cadre de Finance en commun, nous soutenons l’inclusion financière et le financement des PME. Les banques publiques collaborent avec des réseaux de banques commerciales pour accompagner la formalisation des vendeurs informels à travers des formations, des guichets uniques et des garanties publiques, facilitant leur accès au financement bancaire.
À l’AFD, j’ai travaillé sur ces questions dès le début de ma carrière à Abidjan, en apportant des garanties au secteur bancaire. Ce produit est aujourd’hui largement utilisé par des institutions publiques et privées pour financer l’entrepreneuriat et les PME.
Des structures nationales, comme l’ADR au Sénégal, le BIPM en Côte d’Ivoire ou la Caisse des Dépôts au Bénin, soutenues par l’AFD, accompagnent les banques et le secteur privé dans ces démarches. Cela montre comment le secteur public et le secteur privé peuvent coopérer efficacement avec l’appui de la coopération internationale. Ces initiatives, encouragées dans le cadre de Finance en commun, se développent et portent leurs fruits.
Les banques panafricaines, comme Ecobank, certaines banques marocaines, montrent plus d’audace en investissant, en rachetant des banques […]. Cela représente une excellente opportunité pour le financement du continent.
AE : La question de la dette est au cœur des débats, en particulier pour plusieurs économies africaines, où certains pays jugent avoir le droit de s’endetter pour satisfaire des besoins que l’aide publique ou multilatérale ne peut couvrir seule. Le FICS réfléchit-il à une feuille de route pour trouver un équilibre entre financement du développement et soutenabilité de la dette ?
AM : C’est une excellente question. Le FICS n’aborde pas frontalement la soutenabilité de la dette, mais plutôt le coût du capital et les dispositifs de financement de projets. L’endettement international concerne souvent la dette entre systèmes multilatéraux ou bilatéraux, ou via les marchés de capitaux lorsque les pays émettent eux-mêmes. Les banques publiques sont présentes dans certaines phases de ce processus, mais pas toutes les fois. Par exemple, quand des États s’endettent directement, il n’y a pas de banque publique impliquée. Les banques multilatérales ou bilatérales peuvent intervenir dans des financements de projets internationaux, tandis que d’autres dettes, comme la dette interne ou de projets, se font avec des acteurs privés ou bilatéraux.
Dans Finance en commun, la discussion se concentre sur l’efficacité des investissements financés par des acteurs multilatéraux ou bilatéraux, mais la question de l’endettement n’est pas directement traitée. En effet, 90 % des membres de Finance en commun ne sont pas concernés par ce sujet, car ce sont des banques nationales qui financent des projets sans endetter leur pays.
Un axe que les États doivent développer est l’utilisation de leurs banques publiques. Ces banques, comme l’AFD, ont une grande capacité d’investissement sans peser sur la dette publique. Cependant, beaucoup de pays n’ont pas pleinement exploité cette capacité. Les banques publiques africaines représentent moins de 1 % du total des bilans mondiaux. Parfois, les États se surendettent pour rétrocéder des fonds à leurs banques publiques, mais ces banques manquent souvent de ressources pour compléter ces financements. Les États doivent donc prendre leurs banques publiques au sérieux.
La stabilité des banques publiques peut être fragilisée par des changements politiques ou des pratiques de prédation. Cependant, des exemples comme la Banque publique d’Éthiopie ou la DBSA en Afrique du Sud montrent qu’avec un soutien solide, ces institutions peuvent jouer un rôle majeur.
La question de la dette, au-delà de Finance en commun, est cruciale et doit être abordée dans le cadre du G20. La dette n’est pas une fatalité, mais une question de confiance. Les pays les plus endettés, comme les États-Unis, en sont un exemple. Le problème réside dans la perception du risque : un pays endetté à 70 % du PIB peut être perçu différemment selon qu’il s’agit de l’Europe ou du Sénégal, bien que les ratios soient identiques. Le vrai défi réside dans la capacité des pays à générer suffisamment de ressources fiscales pour rembourser.
L’Afrique, bien qu’en pleine dynamique de croissance, doit également renforcer sa base fiscale pour supporter la dette et éviter un endettement non productif. En l’absence de réformes sérieuses, le financement du déficit se fait par endettement, ce qui n’est pas durable si ce financement ne génère pas des investissements productifs.
Les pays africains doivent s’assurer qu’ils empruntent pour des projets qui génèrent des bénéfices à long terme, comme des infrastructures. Emprunter pour des déficits de confort actuel est problématique, car cela pèse sur les générations futures.
Enfin, pour la gestion de la dette, il faut veiller à la bonne structure des emprunts, avec des maturités et devises appropriées. Le système financier international, avec des dispositifs comme le Club de Paris, doit aussi garantir une inclusivité dans la renégociation de la dette. Les pays africains doivent participer activement aux discussions sur la restructuration de la dette, car le problème dépasse la simple annulation de dettes.
Le G20, les Nations unies et les institutions financières doivent aborder cette question de manière inclusive, car la confiance dans le système financier international est en jeu. Si les promesses de soutien au climat et la gestion de la dette ne sont pas respectées, cela entraîne une perte de confiance, un problème majeur dans les relations internationales.
Les pays africains doivent s’assurer qu’ils empruntent pour des projets qui génèrent des bénéfices à long terme. Emprunter pour des déficits de confort actuel est problématique.
AE : Vous avez évoqué la perception du risque liée à la dette. Ne pensez-vous pas qu’il existe une présomption systématique de risque de défaut envers les pays africains, notamment de la part des agences de notation ? Ce risque semble plus élevé en Afrique, mais, dans les faits, peu de pays africains sont entrés en défaut récemment, malgré des crises globales. Est-ce que ces agences ne surestiment pas le risque réel des économies africaines ?
AM : Oui, c’est tout à fait le cas, mais ce n’est pas uniquement la perception des agences de notation. C’est aussi celle des investisseurs. Le problème principal, c’est le coût du capital, qui est directement influencé par la notation, que ce soit au niveau d’un projet ou d’une dette souveraine.
Prenons l’exemple de l’Europe : après la crise financière, des pays comme la Grèce, l’Espagne ou l’Italie ont connu des difficultés, et pourtant, les coûts d’emprunt de la Grèce, qui avait fait défaut, restaient meilleurs que ceux de certains pays africains qui n’ont jamais fait défaut. Cela s’explique par l’intégration économique européenne, qui offre une protection et une perception de soutien collectif, contrairement à l’Afrique, où l’intégration reste limitée, malgré des blocs comme la CEDEAO ou l’UEMOA.
Paradoxalement, l’Afrique est perçue comme un tout, malgré sa fragmentation. Par exemple, une crise au Kenya ou un coup d’État au Niger peut provoquer une hausse des spreads dans toute la région, sans lien économique direct. Ce phénomène dépasse les agences de notation et reflète une perception biaisée des investisseurs.
Pourtant, l’Afrique dispose d’instruments financiers solides, comme la Banque africaine de développement (BAD), notée triple A grâce à ses actionnaires supranationaux. Cela lui permet d’emprunter à des taux bas pour refinancer les États et projets africains. De même, des institutions comme la BOAD (Banque ouest-africaine de développement) jouent un rôle clé en obtenant des financements à des conditions bien meilleures que celles des pays membres s’ils agissaient seuls.
Ces institutions financières publiques sont une opportunité inexploitée. Elles représentent moins de 1 % des actifs bancaires mondiaux, mais leur potentiel pour mobiliser des ressources nationales et internationales est immense. En renforçant ces banques publiques et en réduisant la méconnaissance des économies africaines, nous pouvons atténuer les chocs et améliorer la perception du risque. C’est un agenda stratégique à pousser fortement.
Les coûts d’emprunt de la Grèce, qui avait fait défaut, restaient meilleurs que ceux de certains pays africains qui n’ont jamais fait défaut.
AE : Les banques publiques de développement sont des acteurs majeurs du financement en Afrique, mais d’autres secteurs, comme le privé, pourraient aussi jouer un rôle crucial. Réfléchissez-vous au FICS à mieux articuler leurs contributions pour maximiser l’impact sur le développement économique et social ?
AM : Absolument, c’est un point central du FICS. Nous travaillons sur deux axes : lever les barrières qui freinent le blending finance et améliorer les mécanismes pour mobiliser le capital privé, notamment des pays riches, vers les économies en développement.
De plus en plus, les initiatives publiques catalysent des financements privés en trouvant des marchés économiques viables. Mais il manque des intermédiaires fiables pour faciliter ces investissements. Les banques internationales interviennent, mais au niveau national des institutions solides comme des banques publiques de développement sont essentielles.
Prenons l’exemple du Maroc, où la Caisse de Dépôt et de Gestion mobilise efficacement des ressources en collaborant avec des banques internationales. Cette approche renforce la confiance des investisseurs et attire des fonds vers des projets locaux.
En Europe, des institutions comme la BEI (Banque européenne d’investissement) collaborent avec des banques nationales pour structurer de grands projets. En Afrique, faute d’acteurs locaux solides, la BEI doit souvent tout faire seule, ce qui alourdit les coûts et décourage le secteur privé. Les banques publiques peuvent amortir ces coûts initiaux et rendre les projets viables, notamment dans les infrastructures climatiques.
Pour les investisseurs internationaux, il reste difficile de rivaliser avec les rendements immédiats obtenus dans d’autres marchés. Cela souligne l’urgence de promouvoir des investissements durables et de surmonter des obstacles techniques, comme la pénalisation des investissements en monnaie locale hors territoire.
Un autre enjeu clé concerne le secteur privé africain. L’épargne locale, bien que limitée, est souvent investie dans des produits financiers à court terme, plutôt que dans des projets d’infrastructure à fort potentiel. Par exemple, les fonds d’asset management africains, y compris les fonds de pension, ne participent pas suffisamment à ces projets. Si ces acteurs ne montrent pas l’exemple, il sera difficile d’attirer les investisseurs internationaux.
Nous travaillons à aligner les visions et les cadres d’investissement, en clarifiant des notions comme la durabilité. Par exemple, certains refusent de financer les routes pour des raisons écologiques, mais acceptent de soutenir les bus électriques qui les empruntent, ce qui est contradictoire. Il faut adapter les solutions aux réalités locales.
Enfin, des initiatives positives émergent, comme celles de Meridiam, qui mobilise des ressources internationales pour des projets en Afrique. Mais il est crucial que des institutions nationales, comme les CNPS (Caisses Nationales de Prévoyance Sociale) et les banques locales, s’impliquent davantage dans ces discussions.
Les fonds d’asset management africains, y compris les fonds de pension, ne participent pas suffisamment aux projets d’infrastructure à fort potentiel.
AE : À long terme, comment percevez-vous l’évolution du rôle des banques publiques de développement en Afrique dans la réforme de l’architecture financière internationale demandée par plusieurs pays en développement ?
AM : Avant d’aborder ce point, je voudrais évoquer un acteur clé souvent négligé : les marchés de capitaux. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les banques publiques, comme l’AFD, ne dépendent pas directement des budgets d’État. Par exemple, l’AFD lève ses 12 milliards annuels sur les marchés de capitaux pour financer des projets durables à des taux très faibles.
Ce modèle est reproductible ailleurs. La BADEA, longtemps financée par ses capitaux propres, a récemment émis un eurobond pour accroître ses ressources. Au Rwanda, la BRD a levé des fonds en monnaie locale via des sustainability bonds, intégrant même les contributions de la diaspora. Les marchés de capitaux permettent ainsi de mobiliser des ressources à grande échelle, en contournant les approches projet par projet, souvent longues et complexes.
Toutefois, seule une centaine de banques publiques émettent aujourd’hui des obligations, principalement dans les pays du G20. Il est essentiel d’encourager davantage de banques dans les pays en développement à utiliser cette voie, notamment pour débloquer des projets parfois freinés par de faibles montants manquants.
Concernant les banques publiques africaines, leur rôle dans l’architecture financière internationale gagne en reconnaissance. Lors de la réunion préparatoire du FFD4 (4e conférence internationale sur le financement du développement, NDLR), l’UNDESA (Département des Affaires économiques et sociales de l’ONU) a mis en avant leur importance en tant qu’instruments financiers pour financer les priorités nationales et stimuler l’économie.
L’enjeu est maintenant de mieux intégrer ces banques au réseau international et de leur donner un accès simplifié aux financements internationaux, notamment aux fonds climatiques et aux subventions. Cela renforcerait leur capacité à mobiliser des capitaux en monnaie locale pour répondre aux besoins nationaux.
Une autre priorité est de les connecter davantage à la communauté internationale. Beaucoup de ces banques ne profitent pas pleinement des avantages d’un réseau global, ce qui limite leur influence et leur capacité à négocier avec leurs actionnaires.
Beaucoup de banques publiques africaines ne profitent pas pleinement des avantages d’un réseau global, ce qui limite leur influence et leur capacité à négocier avec leurs actionnaires.
L’année 2025 sera cruciale. La réforme de l’architecture financière internationale, prévue lors du FFD4, pourrait transformer le rôle des banques publiques africaines. Si leurs États actionnaires soutiennent ce changement, ces banques pourraient devenir des acteurs clés du développement économique et occuper une place centrale dans le système financier mondial.
Propos recueillis par Moutiou Adjibi Nourou