Recyclage Carbone Varennes se place à l’abri de ses créanciers, incapable de trouver l’argent pour compléter son usine de biométhanol, un projet de 1,5 milliard de dollars détenu à près de 24 % par le gouvernement. Sur le terrain, l’entrepreneur général démobilise les travailleurs et démantèle les équipements, a appris La Presse.
L’entreprise demande à la Cour supérieure la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) et d’approuver la recherche d’acheteurs ou d’investisseurs potentiels.
Ces nouveaux déboires d’une entreprise financée par l’État pourraient coûter des centaines de millions aux contribuables. Selon le rapport du contrôleur qu’a obtenu La Presse, l’entreprise a accumulé pour 280 millions en dettes à la Banque de l’infrastructure du Canada (BIC) et à Québec.
Le gouvernement Legault risque aussi de perdre quelque 117 millions de dollars en actions de l’entreprise. En outre, Ottawa et Québec ont accordé des subventions totalisant 114 millions pour ce projet en graves difficultés.
Le chantier de Recyclage Carbone Varennes (RCV) inclut une usine de biocarburant, complétée à 75 %, ainsi qu’un électrolyseur à hydrogène construit à 45 %. Son interruption survient alors que des équipements critiques au cœur de la technologie sont sur des bateaux, en route vers le Québec.
L’entreprise dit se trouver « dans une position précaire et éprouvante » dans sa requête rédigée en anglais. Pour expliquer ses difficultés, elle évoque un « manque de liquidités », des « dépassements de coûts » et le « contexte économique actuel et de la volatilité du marché des biocarburants ».
Proman fait faux bond
RCV appartient aux pétrolières Shell Canada et Suncor Energy, au gouvernement et à Proman, un producteur de méthanol et de dérivés du gaz naturel.
Les décisions de cette multinationale suisse se trouvent d’ailleurs au cœur des problèmes de RCV, selon sa demande au tribunal, car elle aurait omis d’honorer un appel de capital de 16,3 millions visant à poursuivre la construction de l’usine.
En réaction, Québec et la BIC ont refusé de lui accorder de nouveaux prêts totalisant 22,5 millions. En fait, seule Suncor a avancé sa part de 14 millions, sur un financement total de 69 millions que demandait l’entreprise pour poursuivre la construction de son usine.
318 millions manquants
Ces sommes ne représentent toutefois qu’une fraction des fonds supplémentaires que nécessite la poursuite du chantier, explique RCV. En janvier, Le Devoir rapportait des dépassements de coûts de 200 millions dans les travaux. À long terme, le « déficit de financement » doit grimper encore, à 318 millions, mentionne la requête de l’entreprise.
Dans ces circonstances, RCV dit être confrontée plus que jamais à « une série de défis financiers qui ont affecté négativement et substantiellement son habilité à poursuivre la construction du projet ».
Dans l’espoir de reprendre ses activités et de redémarrer son chantier à Varennes, RCV demande au tribunal la permission d’emprunter encore 33 millions en fonds publics à Québec et à la BIC, dans le cadre d’un financement intérimaire.
RCV explique aussi qu’elle tente de forcer Proman à honorer ses engagements financiers devant l’Institut d’arbitrage et de médiation du Canada, un organisme destiné à trancher des conflits commerciaux.
Chantier interrompu
En attendant, l’ambiance est morose à Varennes. Le nombre de travailleurs sur le site est passé de 250 à une trentaine de personnes seulement. L’entrepreneur général Promec, arrivé sur le chantier en janvier en remplacement de Black and McDonald, suspend son chantier en attendant d’être payé. La compagnie a enregistré des hypothèques légales de construction sur la propriété de RCV, pour un total de 21 millions.
Le projet est arrêté, on démobilise. On se ramasse dans un cul-de-sac. Les dirigeants promettaient l’argent de jour en jour…
PDG de Promec, Peter Capkun, en entretien avec La Presse
L’entrepreneur ne quitte pas le chantier de gaieté de cœur. « J’espère que ça va repartir et qu’ils retrouveront de l’argent pour le projet, dit-il. Surtout que Québec est actionnaire avec Suncor et Shell… »
Encore sur place la semaine dernière, un travailleur de la construction qui a contacté La Presse a dû se trouver rapidement un autre boulot. « Je ne peux pas me permettre de rester sans travailler, dit l’ouvrier, qui a demandé l’anonymat pour ne pas nuire à son emploi. J’ai été mis à pied quand ils ont décidé de mettre la clé sous la porte. »
Problème de marché
Outre les problèmes de financement, RCV évoque aussi dans sa requête des problèmes plus conjoncturels, comme les « tumultes » que connaît le marché des biocarburants.
« Les prix du biométhanol, par exemple, ont été plus bas que prévu ces dernières années, ce qui a affecté négativement les perspectives économiques et financières du projet », mentionne la requête.
Dans ces circonstances peu reluisantes, RCV a donné dès juillet un mandat à la banque britannique Barclays pour qu’elle trouve de nouveaux investisseurs, souligne sa requête. Selon l’entreprise, l’institution financière étudie des avenues dites « prometteuses », mais « toute transaction pour un projet de cette ampleur prendra vraisemblablement des mois ».
Le boulet Enerkem
L’usine de RCV est basée sur la technologie de biométhanisation d’Enerkem. En octobre dernier, La Presse rapportait comment Québec et les fonds de travailleurs ont perdu près de 100 millions dans cette entreprise, en plus des subventions octroyées.
Quand le gouvernement a refusé d’injecter davantage d’argent dans la compagnie en février 2024, ses actions ont perdu le gros de leur valeur, ce qui laisse le contrôle de l’entreprise à la pétrolière espagnole Repsol.
Le PDG de RCV, Stéphane Demers, n’a pas rappelé La Presse. Ernst & Young a refusé de commenter.