Le gouvernement fédéral a payé des montants totalisant près de 244 000$ au Québec pour des emplois d’été de jeunes au sein d’une association musulmane soupçonnée par l’Agence du revenu du Canada (ARC) de proximité avec des groupes terroristes.
Selon des données obtenues par notre Bureau d’enquête, des sommes ont été versées dans les circonscriptions de l’ancien premier ministre Justin Trudeau, de la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, et de l’ex-ministre de l’Immigration Marc Miller, entre autres, à l’Association musulmane du Canada (MAC en anglais) en vertu du programme Emplois d’été Canada.
La MAC, qui se présente comme la plus importante association musulmane populaire au pays, s’inspire ouvertement des écrits d’Hassan al-Banna, fondateur des Frères musulmans.
Avant l’octroi des fonds, des reportages dans des médias à l’automne 2023 avaient notamment fait état des soupçons de l’ARC concernant la MAC et mentionné l’existence d’un audit de l’équipe antiterrorisme du fisc la visant. Un tribunal ontarien a ordonné ensuite en septembre 2024 qu’une version expurgée de l’audit final soit rendue publique.
Préoccupée
Au terme de son audit, l’ARC a indiqué qu’elle demeurait préoccupée par les liens possibles de la MAC avec des groupes terroristes, a rapporté notre Bureau d’enquête l’automne dernier.
Entre autres, l’ARC a fait état de prises de position pro-Hamas et proviolence d’une personne, Azzam Abu-Rayash, qui aurait dirigé des prières et participé à un atelier sur le leadership de la MAC. Une autre personne, un imam du nom d’Ahmed Khalil, aurait justifié le djihad violent lors d’un sermon dans un centre de la MAC.
Un certain Mohammed al-Khatib se serait par ailleurs aussi servi de la liste de contacts de la MAC pour demander de l’argent au nom d’entités inconnues en Jordanie. Il a été associé par le passé à une autre organisation non nommée impliquée dans le financement de terrorisme.
Pénalité
Malgré les préoccupations du fisc, la MAC a conservé son statut d’organisme de bienfaisance. L’ARC a toutefois réclamé des correctifs là où elle estimait que la MAC ne se conformait pas à la loi. Le fisc s’est aussi réservé le droit de révoquer le statut de la MAC, si les changements réclamés ne sont pas apportés. Une pénalité de 1,1 M$ a de plus été imposée à l’organisme, parce qu’il aurait offert notamment des cadeaux, un congé de loyer et un salaire à des organismes et à des personnes non admissibles.
– Avec la collaboration de Sophie Durocher
UN PROGRAMME UNIQUE QUI DONNE DE LA VISIBILITÉ AUX DÉPUTÉS
Les fonds du programme Emplois d’été Canada ont été versés après que les députés des circonscriptions concernées eurent été invités à donner leur avis.
Ce programme fédéral est unique, car son budget est divisé par circonscription fédérale. Chaque député a la possibilité de lui-même participer à l’établissement des priorités locales.
Bien que ce ne soit pas le député lui-même qui recommande et approuve les organisations bénéficiaires, il est possible pour lui de fournir des commentaires sur la liste des employeurs sélectionnés pour le programme. C’est aussi le député qui peut informer les employeurs retenus, lorsque leur demande de financement est acceptée.
«Le financement de l’Association musulmane du Canada provient de programmes établis pour créer des emplois pour les jeunes et renforcer les mesures de sécurité, assurant ainsi la sécurité des Canadiens de toutes confessions religieuses», a réagi Emmanuella Lambropoulos, députée de Saint-Laurent, qui ne mentionne pas si elle était au fait des soupçons pesant sur la MAC au moment où celle-ci recevait le paiement.
L’attachée de presse de Mélanie Joly, élue dans Ahuntsic-Cartierville, a indiqué que cette dernière a été impliquée dans l’établissement des priorités locales pour le programme Emplois d’été Canada. Elle a toutefois mentionné qu’elle n’a pas fait de commentaires sur la liste des employeurs sélectionnés et que ce n’est pas elle qui a informé la MAC que sa demande de financement était acceptée.
Les autres députés n’ont pas donné suite aux questions de notre Bureau d’enquête.
Confidentialité
Emploi et Développement social Canada a indiqué de son côté qu’il ne pouvait pas faire de commentaires sur les détails de la demande ou de l’entente spécifique avec un organisme comme la MAC.
«Lorsque les représentants de Service Canada ont terminé d’évaluer et de classer toutes les demandes admissibles, les députés sont invités à revoir la liste pour leur circonscription afin de mettre à profit leurs connaissances des circonstances locales et de formuler des commentaires», a écrit une porte-parole, Maja Stefanovska.
C’est le ministre ou la personne déléguée au sein du ministère qui détient le pouvoir de décision pour toutes les ententes de contribution, a-t-elle poursuivi.
«Les décisions sont prises, après avoir examiné toutes les demandes en fonction des critères du programme, incluant les priorités nationales, et les recommandations des députés, s’ils ont participé à la revue», a-t-elle ajouté.
LA MAC MET EN GARDE CONTRE L’ISLAMOPHOBIE
Contactée par notre Bureau d’enquête, la MAC s’est défendue dans un courriel, en indiquant qu’il pouvait être islamophobe, selon elle, de s’intéresser spécifiquement à elle.
«La MAC demeure un organisme de charité accrédité suivant la fin de l’audit de l’ARC en 2023. La MAC soutient plus de 150 000 Canadiens à travers le pays avec des programmes communautaires et des services vitaux», a-t-elle indiqué.
Selon l’association, beaucoup d’organismes de bienfaisance font l’objet d’un audit chaque année, et il n’y a rien de nécessairement anormal à ça. «Singulariser une organisation musulmane de cette façon, tout en ignorant la réalité plus large du processus d’audit de Revenu Canada, est trompeur et islamophobe», a-t-elle fait valoir.
Confidentiel
L’Agence du revenu du Canada a indiqué de son côté à notre Bureau d’enquête qu’elle ne pouvait pas faire de commentaires quant à savoir où en était le dossier de la MAC.
«Étant donné que l’organisme n’est actuellement pas révoqué, annulé, suspendu ou pénalisé, l’agence ne peut pas fournir d’autres renseignements pour le moment», a indiqué Sylvie Branch, porte-parole de l’ARC.
Dans un affidavit daté de février 2024, Yaser Haddara, un ancien vice-président et administrateur de la MAC, a indiqué son intention de contester les conclusions de l’audit du fisc. La MAC a déposé un avis d’opposition suivant l’audit du fisc et «est fermement en désaccord avec les conclusions de l’ARC», a-t-il déclaré. Il a ajouté que la MAC a aussi engagé des discussions avec l’ARC pour que des modifications soient apportées à un accord de conformité proposé par l’ARC.