Cette semaine je vous invite à faire le tri entre ce qu’il faut garder sous la main – oui, un peu comme ce jean bleu basique qui vous va bien, qu’on laisse bien sûr en haut de la pile – mais aussi ce que vous pouvez mettre de côté – cette petite robe bustier vert fluo que vous portiez au mariage de votre meilleure amie il y a dix ans – n’a vraiment pas besoin d’apparaître sous vos yeux tous les jours. Alors, prête à faire de la place ?
La peur d’investir
Vous vous demandez où je veux en venir avec ces conseils vestimentaires douteux ? J’y arrive ! Beaucoup de personnes n’osent pas se lancer dans l’investissement, non pas par manque d’intérêt, ni par ignorance. Mais à cause de cette petite appréhension aux nuances de syllogomanie. Celle de placer leur argent quelque part, puis de ne plus pouvoir y toucher quand surviendra un imprévu. Cette crainte est légitime. Mais elle a une réponse (tout comme votre cave convient très bien à la robe vert fluo) : l’épargne de sécurité.
Vous avez raison de craindre qu’un jour, après avoir placé toutes vos économies dans un produit prometteur mais complètement illiquide, vous dussiez, soudain, faire face à une panne de voiture, une période de chômage, ou une séparation. Le risque d’illiquidité est réel. Mais la réponse qui consiste à attendre en accumulant son épargne sur un compte courant, ou sur un livret A saturé, représente un risque encore plus certain : celui de voir votre épargne s’éroder au fil de l’inflation, de dépenser plus que de raison ou encore de passer à côté de belles opportunités.
Investir l’esprit léger, c’est possible
Je vous invite donc à appliquer une méthode simple, qui consiste à séparer l’argent « dont on pourrait avoir besoin » de celui « qu’on pourrait laisser travailler ». Ce concept porte plusieurs noms : le matelas de sécurité, poche de sécurité, etc.
En bref, c’est l’argent des coups durs. Mais c’est aussi, paradoxalement, ce qui permet d’investir plus librement le reste. En définissant précisément la somme à mettre de côté pour faire face aux aléas, on découvre souvent qu’une autre part – plus importante qu’on ne le pensait – peut être investie avec sérénité.
Cette poche n’est donc pas une contrainte. C’est une autorisation. Celle de ne pas immobiliser toute son épargne dans une attente perpétuelle de l’imprévu.
Comment mesurer l’essentiel ?
Mais combien faut-il mettre de côté pour se sentir à l’abri ? Il n’existe pas de réponse universelle, mais il y a des variables incontournables à considérer. Le calcul du matelas de sécurité n’est pas qu’une estimation sommaire ; c’est un exercice de modélisation fine de votre réalité.
La première variable est temporelle : combien de mois souhaitez-vous pouvoir vivre sans aucun revenu ? Trois ? Six ? Neuf ? Ce n’est pas un chiffre abstrait, mais le reflet de votre situation professionnelle et personnelle. Un CDI dans un secteur en tension appelle moins de prudence qu’une activité indépendante. Une personne seule, sans conjoint salarié ni soutien familial, devra compenser par une épargne plus large.
Vient ensuite le montant de vos dépenses mensuelles incompressibles. Il ne s’agit pas ici de conserver votre niveau de vie habituel, mais de couvrir l’essentiel : Il s’agit là du cœur du calcul : combien vous faut-il, chaque mois, pour vivre dignement – sans excès, mais sans compromettre votre stabilité ?
Ce poste comprend généralement :
- Le logement : loyer ou mensualité de crédit, charges associées.
- La nourriture : dépenses moyennes pour se nourrir (hors restaurants ou plaisirs exceptionnels).
- Les factures fixes : électricité, gaz, eau, internet, téléphonie.
- Les assurances : habitation, santé, auto.
- Les frais de transport : essence, transports publics, entretien.
- Les dépenses liées à la parentalité, le cas échéant : garde, école, cantine, vêtements.
Il est ici crucial d’être réaliste, mais sobre. L’épargne de sécurité ne vise pas à maintenir un niveau de vie maximal, mais à assurer votre continuité vitale et fonctionnelle.
À ce socle, on peut soustraire les revenus de remplacement potentiels : indemnités chômage, prestations sociales, revenus locatifs ou résiduels. Un salaire partiel ou une allocation prévue dans un scénario de transition peuvent alléger le montant à épargner.
Il convient aussi de prendre en compte les ressources déjà disponibles. Disposez-vous d’une épargne immédiatement mobilisable ? D’un capital déjà placé sur des supports liquides et sans frais ? Cela change considérablement le besoin à combler.
Enfin, une dernière variable, plus discrète, mais décisive : votre propre tolérance au risque et à l’incertitude. Deux profils ayant les mêmes revenus et les mêmes dépenses pourront aboutir à deux estimations différentes, simplement parce que l’un dort mal à l’idée d’avoir « seulement » trois mois devant lui, quand l’autre se sent rassuré dès qu’il en a deux.
Ce travail n’est pas une science exacte, mais un exercice de lucidité. Pour passer de la peur de tout perdre à la connaissance de ce que l’on a sécurisé.
Où placer cette épargne vitale ?
Cette poche de sécurité ne vise pas la performance, mais la stabilité. Elle doit être disponible à tout moment, sans risque de perte en capital. Le Livret A, bien que plafonné, reste l’option la plus évidente. Viennent ensuite le LDDS, le fonds euro dans certains contrats d’assurance-vie, ou les comptes à terme sécurisés.
Ce capital ne doit pas être exposé aux marchés. Pas de placement en Bourse, pas de crypto, pas même d’obligations longues.
Il doit également être liquide, pouvoir être retiré rapidement : pas de private equity, pas d’immobilier en direct, pas de dette privée, par d’investissement dans la start-up de votre nièce…
Il s’agit ici de pouvoir retirer en cas de besoin, sans délai, sans pénalité, et sans perte. À propos de perte, tenez compte de la fiscalité qui s’applique à la plus-value du placement choisi, le cas échéant.
Et en pratique ?
Souvent, lorsqu’on met noir sur blanc ce besoin de sécurité, on découvre que le montant à garder à portée de main est bien plus faible que ce que l’on imaginait.
Une personne avec 2 000 euros de dépenses essentielles par mois n’a besoin que de 6 000 à 12 000 euros de matelas, selon sa situation. Si elle a 30 000 euros de côté, cela signifie que plus de la moitié de son capital pourrait, en théorie, être investi ailleurs – de manière progressive, certes, mais avec une logique plus long terme.
L’épargne de sécurité ne doit pas être vue comme un renoncement à l’investissement, mais comme sa condition de possibilité. Elle trace une frontière entre ce qui doit être préservé à tout prix, et ce qui peut être mis au service de projets, de croissance ou de transmission.
En identifiant clairement ce que vous devez garder de côté « au cas où », vous vous donnez enfin le droit d’utiliser le reste « pour de vrai ».