(Agence Ecofin) – Face à l’urgence climatique, la BCEAO et HEC Paris appellent les financiers africains à agir. Une masterclass a lancé l’édition 2025 des parcours exécutifs en finance durable.
La finance africaine a rendez-vous avec l’histoire. Jeudi 20 mars 2025, la BCEAO, à travers son centre de formation COFEB, et la prestigieuse école HEC Paris, ont lancé l’édition 2025 de leur programme conjoint de formation, avec une masterclass internationale placée sous le thème : « Finance et Climat : un appel à l’action pour l’Afrique ». Un intitulé évocateur pour une rencontre qui ambitionne de replacer les enjeux climatiques au cœur des stratégies financières du continent.
Organisée en ligne, la conférence a rassemblé des centaines de professionnels du secteur bancaire, de décideurs publics et d’étudiants curieux, venus écouter Anne Frisch, professeure associée à HEC Paris, ancienne directrice financière dans l’industrie, et référence en matière de finance durable.
Un discours sans détour
Pendant plus d’une heure, Anne Frisch a livré son analyse des liens entre changement climatique et stabilité économique. Introduite par Balamine Diane, adjoint au directeur des Enseignements et des Formations du COFEB, l’intervenante a d’abord posé les bases scientifiques du dérèglement climatique, en rappelant l’augmentation inquiétante de la concentration de CO₂ dans l’atmosphère : de 319 ppm en 1958 à 425 ppm en 2024, selon la célèbre courbe de Keeling. « A un certain niveau, nous entrons dans un déséquilibre du climat, qui n’est qu’un des neuf processus naturels menacés par l’activité humaine », a-t-elle expliqué.
Anne Frisch
L’Afrique, première victime du réchauffement
Bien qu’elle contribue peu aux émissions mondiales de gaz à effet de serre, l’Afrique est en première ligne. Le continent a vu sa température moyenne grimper de +1,4°C depuis l’ère industrielle, et fait déjà face à une hausse de 0,3°C supplémentaire, hors effets régionaux. Sécheresse, inondations, perte du couvert forestier, insécurité alimentaire : autant de phénomènes aggravés qui affectent la croissance économique et exposent des millions de vies.
C’est tout le sens de l’appel lancé par la conférencière : passer à l’action. Car, selon elle, « la finance est aujourd’hui confrontée à des risques nouveaux ». D’un côté, les risques physiques : destruction d’infrastructures, pertes agricoles. De l’autre, les risques de transition : nouvelles normes, ruptures technologiques, marchés qui se ferment — à l’image de l’interdiction en Europe des véhicules thermiques dès 2035, qui entraînera une obsolescence rapide pour les acteurs non préparés.
Finance climat : un effort inégal
En matière de finance climat, les dés sont loin d’être équilibrés. En 2022, les flux financiers mondiaux consacrés à cette cause ont atteint 1270 milliards de dollars, dont 1150 milliards pour l’atténuation (réduction des émissions) et le reste pour l’adaptation. Pourtant, l’Afrique subsaharienne, qui regroupe 18% de la population mondiale, n’a reçu que 30 milliards de dollars — soit à peine 3% du total.
Une répartition déséquilibrée, d’autant plus injuste que les besoins sont colossaux : 2700 milliards de dollars d’ici à 2030, soit environ 400 milliards par an, seraient nécessaires pour mettre en œuvre les Plans climatiques nationaux africains, selon les estimations partagées par Anne Frisch.
Un changement de paradigme nécessaire
Pour la conférencière, il est temps que les acteurs financiers révisent leur grille de lecture. « Le couple rendement-risque doit intégrer le facteur climat, sous peine de voir émerger une vague d’actifs échoués », prévient-elle. Mais au-delà des menaces, elle voit aussi des opportunités : crédit carbone, énergies renouvelables, agriculture durable, économie circulaire…
Citant l’article 2 de l’Accord de Paris, elle rappelle que les flux financiers doivent désormais être compatibles avec une trajectoire bas carbone et résiliente. « Il en va de notre avenir commun », a-t-elle insisté. Pourtant, les flux mondiaux restent concentrés en Europe de l’Ouest et en Asie. Il revient donc aux acteurs africains — banques centrales, banques commerciales, assureurs, gestionnaires d’actifs — de prendre leur part de responsabilité. « Le secteur bancaire peut être moteur de la transition », a insisté Mme Frisch, évoquant les obligations vertes, les instruments de finance mixte ou encore les crédits à impact.
Un programme pour armer les dirigeants
Présidée par Mahaman Tahir Hamani, directeur général du COFEB, la masterclass a également servi de cadre au lancement officiel des nouveaux parcours CEMSTRAT 1 et 2, présentés par les professeurs Christine Castan et Bertrand Quelin.
- CEMSTRAT 1, destiné aux directeurs opérationnels, offre une approche intégrée des défis de la digitalisation bancaire et des mutations juridiques, économiques et géopolitiques.
- CEMSTRAT 2, conçu pour les directeurs généraux, fournit des outils de pilotage stratégique, de création de valeur et de gestion de crise.
Depuis 2013, ce partenariat entre la BCEAO-COFEB et HEC Paris a permis à des centaines de dirigeants africains de renforcer leurs compétences managériales. La cuvée 2025 ambitionne d’aller plus loin encore, en outillant ses participants pour affronter le défi climatique.
C’est donc sur une note d’espoir teintée d’urgence que s’est conclue la conférence. « Le meilleur moment pour planter un arbre, c’était il y a vingt ans. Le deuxième meilleur moment, c’est maintenant », a répété Anne Frisch. Une manière élégante et ferme de rappeler à tous, décideurs comme financiers, que le temps n’est plus à l’observation mais à l’action.