« Récession » est sans doute le dernier mot que veulent entendre les dirigeants de la finance. Pourtant, la menace est bien réelle. Même si la panique n’est pas installée dans les milieux financiers, l’inquiétude se fait sentir. Et les entreprises doivent agir.
Droits de douane, volatilité des marchés, incertitude généralisée… La situation économique actuelle représente un défi de taille pour les dirigeants de la finance. « Tout le monde est en train de faire des plans. Est-ce qu’il va se passer x, y ou z ? On fait des plans chaque semaine, chaque jour, selon ce qui se passe », affirme Dominic Grimard, président du conseil d’administration de l’association Dirigeants financiers internationaux Canada (FEI Canada), section Québec.
Ce n’est pas la première fois que les dirigeants de la finance traversent une crise. On n’a qu’à penser à celle de la COVID-19, il y a tout juste cinq ans. Chaque fois, l’histoire nous démontre qu’une crise peut devenir une source d’occasions. « Comme le disait Winston Churchill : “Never waste a good crisis” », rappelle Nicolas Marcoux, chef de la direction et associé principal de PwC Canada.
Gérer les risques
Face à l’incertitude, la première chose à faire, selon Dominic Grimard, est de protéger ses acquis. « On met certains projets sur la glace, on est prudent, on se tient près de nos fournisseurs, de nos employés. »
Nicolas Marcoux est du même avis.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE
Nicolas Marcoux, chef de la direction et associé principal de PwC Canada
La chose la plus importante qu’un dirigeant financier peut faire en ce moment, c’est d’avoir une discipline quasi militaire en termes d’allocation du capital.
Nicolas Marcoux, chef de la direction et associé principal de PwC Canada
Norma Kozhaya, économiste en chef et vice-présidente à la recherche du Conseil du patronat du Québec, souligne l’importance de ne pas manquer de liquidités et mentionne la disponibilité de certains prêts. « Les gouvernements ont mis en place des programmes pour soutenir les entreprises, que ce soit au niveau des liquidités avec des programmes de prêts, ou de l’accompagnement dans l’automatisation afin d’augmenter la productivité. »
Faire des investissements stratégiques
Qui dit contrôle des coûts et des dépenses ne dit pas nécessairement arrêt des investissements. « Il faut choisir les dépenses ou les projets qui vont avoir le plus fort retour sur investissement. On va devoir faire des choix plus stratégiques. Prioriser davantage. Et chercher à être plus productif, plus compétitif », soutient Mme Kozhaya.
Pour le chef de la direction et associé principal de PwC Canada, c’est le moment d’investir dans des technologies comme l’intelligence artificielle (IA) afin de combler le déficit de productivité qui affecte de nombreuses entreprises. « Chez PwC, on a décidé d’adopter l’IA de façon importante parce que j’ai plus peur d’un compétiteur qui peut utiliser l’intelligence artificielle de façon adéquate que j’ai peur de l’IA. »
Pour M. Marcoux, investir dans l’IA, de façon très ciblée par rapport à ses besoins, peut permettre de créer de la valeur. « C’est quoi, les données qui donneraient le plus de valeur si on connaissait le résultat ? En agriculture, ça peut être de prédire les patterns de la météo. Ça peut être, dans une entreprise comme PwC, de prédire l’attrition du personnel pour avoir toujours le bon nombre de personnes à déployer. Pour Hydro-Québec, ça peut être la maintenance préventive qui va créer le plus de valeur. »
Les entreprises qui vont avoir le courage d’aller de l’avant avec de l’investissement en intelligence artificielle vont prendre une longueur d’avance sur la compétition.
Nicolas Marcoux, chef de la direction et associé principal de PwC Canada
Diversifier les marchés
La crise actuelle met en lumière notre grande dépendance à l’égard des États-Unis et la nécessité de diversifier les marchés. « Je ne pense pas que la situation est irréparable, mais peu importe la relation qu’on va avoir avec les États-Unis comme partenaire, elle va être différente de ce qu’elle a été », soutient M. Marcoux.
« Même si les États-Unis, par la force des choses, par la géographie, vont demeurer notre principal partenaire, on peut réduire un peu cette dépendance, chercher un peu ailleurs », avance Mme Kozhaya.

PHOTO FOURNIE PAR LE CONSEIL DU PATRONAT DU QUÉBEC
Norma Kozhaya est économiste en chef et vice-présidente à la recherche du Conseil du patronat du Québec.
On ne pourra pas passer de 75 % de nos exportations internationales qui vont aux États-Unis à 50 %, mais peut-être qu’on peut les réduire à 70 % ou développer d’autres liens, travailler autrement, être plus productifs, aussi, plus compétitifs.
Norma Kozhaya, du Conseil du patronat du Québec
« Malgré toute la volatilité et l’augmentation du risque, il y a des entreprises québécoises et canadiennes qui pourraient sortir grandes gagnantes de cet épisode-là », estime quant à lui M. Grimard, de FEI Canada.
En plus d’une plus grande collaboration avec les entrepreneurs au Québec et au Canada, une avenue à considérer pour diversifier sa production et ses marchés est de faire des acquisitions. « Il va y avoir de belles opportunités d’acquisition pour les entreprises qui sont en bonne santé financière. Je pense qu’on va voir certaines sociétés canadiennes chercher à faire des acquisitions – consolider le marché canadien ou même aller acheter des actifs aux États-Unis pour avoir une capacité de production là-bas et desservir le marché américain, et se servir des actifs au Canada pour desservir le reste de la planète. Il y a des acquisitions stratégiques. C’est clairement une des pistes de solution, mais ça prend le courage de le faire », affirme M. Marcoux.