L’économiste Philippe Crevel, directeur général du Cercle de l’Epargne, décrypte les nouveaux fonds dédiés à la défense, leur fonctionnement, leurs opportunités… et les risques à ne pas négliger.
La Dépêche du Midi : Le fonds annoncé récemment par Eric Lombard prévoit de récolter 500 millions d’euros pour soutenir l’industrie de la défense. C’est un bon placement selon vous ?
Philippe Crevel : C’est un produit relativement classique. Ce type de fonds, on en trouve dans l’assurance-vie, dans les comptes-titres, etc. Les épargnants peuvent y souscrire via des unités de compte ou des Organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM). L’intérêt, c’est que ce sont des placements de long terme, et dans ce cas précis, on est sur du très long terme : le fonds est bloqué cinq ans, avec une logique d’investissement sur dix ans voire plus. Il faut du temps pour faire monter en puissance l’industrie de la défense, on ne va pas produire des Rafales ou des canons du jour au lendemain.
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Justement, à quoi faut-il s’attendre en termes de rendement ?
Ce n’est pas un placement liquide, donc il faut être patient. Mais les entreprises concernées ont des carnets de commandes qui gonflent, portés par les commandes publiques. Ce sont des entreprises très technologiques, avec une vraie valeur ajoutée. On peut imaginer, à horizon long, un rendement correct, autour de 5 à 7 % par an. Ce n’est pas absurde.
D’autres fonds visant aussi ce secteur vont être proposés par les banques. Seront-ils comparables ?
Globalement, oui. Ils pourront être un peu plus liquides, mais ça peut vouloir dire aussi une volatilité plus forte au début, avec parfois des pertes temporaires. Ensuite, chaque fonds aura sa stratégie : certains seront plus orientés vers le capital-investissement dans des entreprises de taille intermédiaire (ETI), d’autres plus axés sur les obligations. Les politiques de gestion ne sont pas encore toutes définies, donc il faudra regarder au cas par cas.
À part ces fonds, comment les particuliers peuvent-ils investir dans la défense ?
En achetant directement des actions d’entreprises du secteur. Dassault, Airbus – qui a un département défense –, ou encore Thales. Bon, certaines sont moins accessibles car peu cotées ou avec peu de titres disponibles. Et puis il y a eu historiquement un frein avec des critères restrictifs, qui ont longtemps exclu la défense. Mais on voit que ça évolue, surtout depuis la guerre en Ukraine. Par exemple, le fabricant d’armes Rheinmetall en Allemagne a vu son action exploser après l’annonce d’un effort de défense renforcé par le gouvernement allemand.
Est-ce qu’on observe la même tendance en France ?
Moins marquée, parce que beaucoup d’acteurs ne sont pas cotés en Bourse. Airbus, c’est un peu dilué entre civil et militaire. Dassault, il y a peu de titres disponibles. Mais oui, on a vu des soutiens à la hausse dernièrement. Et puis on a un tissu d’ETI important : Naval Group pour les bateaux, Thales pour les missiles, Nexter pour les canons César, MBDA, et aussi toute la partie informatique militaire avec Safran, qui a bien été valorisée ces derniers mois.
Y’a-t-il un risque de bulle dans ce secteur ?
Comme toujours, il y a un risque. Si tout le monde se rue sur la défense, qu’on pense que la Troisième Guerre mondiale est pour demain, et qu’au final une paix durable revient… les États peuvent baisser leurs budgets, et là, les carnets de commandes fondent. Mais le contexte actuel reste tendu, et on ne sait pas ce que seront les orientations stratégiques dans quatre ou cinq ans, notamment aux États-Unis. Donc oui, il y a une part d’incertitude, mais c’est aussi ça, un placement en actions : il n’y a jamais de garantie de capital.