Un enracinement français, une ouverture sur le monde
Né en France, Yves-Marie Abraham a grandi dans un environnement intellectuel stimulant. Issu d’une famille d’artistes, il a suivi un parcours qui l’a conduit à HEC Paris. Ses racines françaises, marquées par une réflexion sur les dynamiques sociales et économiques, ont joué un rôle central dans l’élaboration de sa pensée critique.
Marié, il arrive au Québec en 2002 avec sa femme et leurs deux filles. Leur fils, quant à lui, naîtra à Montréal. Cette expérience familiale ancre encore davantage son attachement au Québec, où ses enfants poursuivent aujourd’hui leurs études.
Un détour par la théologie
Avant de se spécialiser en sociologie et en économie critique, Yves-Marie Abraham s’était d’abord intéressé à sociologie des religions. Il avait entamé un doctorat sur le phénomène des ermites religieux en France avant de réorienter ses recherches. “C’était une période de réflexion intense. J’étais fasciné par l’idée de retrait du monde, mais j’ai fini par me tourner vers l’étude des structures économiques et sociales”, confie-t-il.
Des marchés financiers à la critique radicale du capitalisme
Après avoir travaillé quelques années à la Sofres, le plus gros institut de sondage en France à l’époque, Yves-Marie commence un doctorat à HEC Paris en sociologie de la finance. “J’ai voulu comprendre les rouages du capitalisme financier de l’intérieur”, explique-t-il. Ce qui aurait pu être une plongée dans le cynisme des marchés se transforme rapidement en un engagement intellectuel contre ce système économique.
Répondant à une offre d’emploi, il quitte la région parisienne et rejoint HEC Montréal où il continue à interroger les mécanismes de l’économie dominante. Mais une lecture fortuite, celle d’un journal étudiant mentionnant la décroissance, marque un tournant décisif. “C’était en 2005. J’ai d’abord regardé cela avec scepticisme, puis j’ai commencé à creuser le sujet, et tout s’est enchaîné”, se souvient-il.
Un engagement pour la décroissance
Convaincu que le capitalisme ne peut être réformé mais seulement aboli, du moins si l’on tient à un monde soutenable et juste, Yves-Marie Abraham s’investit dans le mouvement de la décroissance au Québec. Il participe à la fondation du Mouvement québécois pour la décroissance conviviale en 2007. .
Dès 2013, il propose un cours sur la décroissance à HEC Montréal, une initiative inédite au sein d’une école de commerce. “J’avais 12 étudiants au départ. Aujourd’hui, ils sont plus de 100 chaque année”. Prochaine étape : la création d’un programme d’études sur la décroissance.
Yves-Maire Abraham est membre par ailleurs du collectif Polémos, qui vise à produire de la recherche rigoureuse sur les limites de la croissance et la post-croissance
Une pensée qui dépasse les frontières
Si le mouvement de la décroissance trouve ses racines en France, il s’est bien ancré de ce côté-ci de l’Atlantique “Montréal est devenu un centre important pour ces idées, et nous nous inscrivons dans une tradition intellectuelle très française, critique du capitalisme et des technosciences”, analyse-t-il.
Mais la décroissance ne se limite pas à un courant occidental. Des chercheurs japonais, latino-américains et africains s’y intéressent, chacun y intégrant des références culturelles propres. “En Amérique du Sud, certains mêlent les idées de décroissance à des traditions indigènes de sobriété et d’harmonie avec la nature”, illustre-t-il.
Ouvrages écrits par Yves-Marie Abraham ou auxquels il a participé.
Une bataille d’idées loin d’être gagnée
Après deux décennies de militantisme intellectuel, Yves-Marie Abraham garde un regard lucide sur les difficultés rencontrées. “On ne gagnera pas comme on voudrait, mais on empêchera peut être que le capitalisme nous mène jusqu’à des formes d’effondrement dévastatrices”, confie-t-il.
Alors que les conséquences du réchauffement climatique et des crises économiques s’accentuent, la décroissance pourrait-elle passer du statut d’utopie marginale à celui de solution incontournable ? “Ce n’est pas exclu. La question est de savoir si nous saurons anticiper le changement, ou si nous le subirons”, conclut-il, laissant planer l’incertitude sur l’avenir.