Il a gardé ce sourire en coin qui avait ensorcelé la France du rugby au mitan des années 1990. Thomas Castaignède a 50 ans, et c’est curieux de se le dire. Hier encore, le grand espoir toulousain fracassait la porte d’entrée de l’équipe de France. Trois ans après ce Crunch 1996 et son drop vainqueur de légende, les malheurs avaient commencé avec cette cuisse qui le lâchait à l’échauffement du premier match du Mondial 1999.
Un an plus tard, une terrible rupture du tendon d’Achille, toujours à l’échauffement, face à l’Australie, stoppait net la carrière du prodige qui ne reprendrait qu’un an et demi plus tard, en Angleterre. Les supporters français avaient beaucoup pleuré ce soir-là. « Moi aussi… », sourit aujourd’hui Thomas Castaignède, attablé dans la salle d’un café angloy à l’abri d’une tempête. « Quelque part, cette très grave blessure a aussi été une chance. J’ai pensé que ma carrière était terminée, j’avais 25 ans. J’ai compris que la vie de sportif était fragile. Qu’il valait mieux avoir un diplôme et bien réfléchir à l’après. »
Thomas Castaignède, échappe à son vis-à-vis gallois, Neil Jenkins, lors de la victoire 51-0 au pays de Galles pendant le Tournoi 1998.
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Le rugby venait à peine de basculer dans l’ère professionnelle mais tous ses héros avaient commencé en se disant qu’une seconde vie les attendait. « Je n’ai jamais pensé que je pourrais vivre des émoluments tout le reste de ma vie, poursuit l’ouvreur aux 54 sélections. La question ne se posait pas. C’était plutôt un ascenseur social. Mais même aujourd’hui, je ne suis pas sûr qu’il y ait un joueur de rugby qui puisse dire qu’il a gagné assez dans sa carrière pour ne pas travailler ensuite. » Antoine Dupont, peut-être ? Mais laissons le temps au temps.
De l’Insa à la banque
Au milieu des années 1990, l’espoir Thomas Castaignède n’a que 19 ans quand il intègre la grande équipe toulousaine et glane son premier Brennus. Les portraits sont élogieux et font toujours une halte par l’INSA, l’école d’ingénieurs que le Montois d’origine a intégré en parallèle. « J’ai gardé une profonde attache avec cette école qui m’a beaucoup marqué, confie-t-il trente ans plus tard. Elle m’a apporté une vraie rigueur et procuré autre chose à des moments où j’avais besoin de sortir de mon environnement rugby. »
Avide de voyages, le « Petit Boni » avait suivi les conseils d’un professeur de physique qui l’avait orienté vers cette filière capable de le transporter à terme sur des plateformes pétrolières. Mais le plan ne s’est pas tout à fait déroulé comme prévu. La professionnalisation du rugby puis son transfert en Angleterre en 2000 après trois années passées au Castres olympique ont eu raison des ambitions thermodynamiques du trois-quart.
Aux Saracens, l’ingénieur diplômé a finalement mis un pied… dans la banque. « La Société générale était partenaire du club et m’avait proposé une formation. C’est comme ça que j’ai découvert la City et que j’ai peu à peu basculé dans un nouveau monde. » Le rugbyman peroxydé devenait golden boy en quelques échanges d’obligations bien sentis.
Thomas Castaignède alors exilé à Londres en 2013.
Guillaume Bonnaud/SO
« Passer de la carrière à l’après-carrière, c’est comme dire à un enfant à qui tu as tout cédé qu’il doit se débrouiller tout seul du jour au lendemain »
Sa carrière de rugbyman avait pourtant pris un nouvel envol à Londres mais Bernard Laporte ne l’avait pas sélectionné pour les Coupes du monde 2003 et 2007. Encore quelques larmes. Lassé, usé, il avait annoncé sa retraite alors que Guy Novès lui faisait les yeux doux. « Quand l’entraîneur du Stade Toulousain t’appelle pour te dire : ‘Tu vas revenir et leur montrer qu’ils se sont trompés’, tu as envie de relever le challenge. Mais après réflexion, je l’ai rappelé et je lui ai dit : ‘‘Si je reviens, je vais te décevoir, me décevoir et décevoir les supporters. Il vaut mieux qu’ils gardent une bonne image de moi’. »
Le prodige avait déjà basculé. « Il faut avoir la lucidité de se dire que c’est le moment. Cela faisait deux ans que je préparais ma reconversion dans la banque. J’avais repassé plein d’examens, je bossais comme un fou pour montrer que j’étais capable de réussir dans un autre milieu. » Un défi vécu comme un passage à l’âge adulte. « Quand tu es joueur, tu ne t’occupes de rien, tu pars en tournée avec une brosse à dents. Passer de la carrière à l’après-carrière, c’est comme dire à un enfant à qui tu as tout cédé qu’il doit se débrouiller tout seul du jour au lendemain. »
Thomas Castaignède passera dix ans à Londres, à la Société générale puis chez Santander, avant de revenir en France et acter un nouveau transfert, de la banque vers l’assurance, en 2014. « Axa était un de mes clients. Le patron Claude Bébéar et le directeur France, Nicolas Moreau, ont été extraordinaires. Ils m’ont proposé de devenir agent d’assurances. » Après s’être lancé à Toulouse, il rejoindra la Côte basque où il sera longtemps l’associé de Philippe Tayeb, devenu président de l’Aviron bayonnais en 2018.
Une charnière Dupont – Castaignède
« Mon passé m’a permis d’ouvrir des portes, c’est évident, mais il fait aussi qu’il y a toujours un soupçon d’illégitimité. Heureusement que j’ai passé des diplômes. Ce ne sera pas forcément le cas des rugbymen actuels qui sont portés encore plus haut et pourront descendre très bas… Quand tu es sportif pro, tu montes parfois très très très haut et la chute est terrible quand tu dois redevenir quelqu’un de normal. Rien dans la vie ne te permet de revivre les émotions que tu as vécues auparavant. »
Thomas Castaignède ne manque pourtant pas d’ambition. Riche de son expérience, l’ex petit Mozart du rugby vient de relancer une nouvelle fois sa carrière en créant sa société de courtage en assurances. Son cabinet baptisé « Antoma courtage » est adossé à Verlingue, un grand groupe tricolore du secteur. « C’est encore la rencontre d’un homme, Jacques Verlingue, qui a créé sa structure de courtage devenue l’un des leaders français. J’ai aimé cette entreprise où les décisions peuvent encore se prendre dans un cercle familial malgré un chiffre d’affaires autour de 500 millions et près de 3 000 salariés. »
Le siège d’Antoma est à Toulouse mais Thomas Castaignède sera régulièrement à Paris ou Bordeaux pour représenter cette entité qui n’aura pas de mal à se faire un nom. Son associé ayant lui aussi construit une petite notoriété grâce au rugby. « Je suis très heureux qu’Antoine Dupont ait rejoint la structure, applaudit son prédécesseur sur le piédestal. Il se pose les mêmes questions que nous quand on était joueurs. C’est quelqu’un de très intelligent, qui a adhéré au projet de manière réfléchie. Peut-être que ce ne sera pas le centre de son activité post-rugby mais il a compris que ça pourrait être une opportunité. Après, ce n’est pas parce que tu agrèges des jolis noms que ça fonctionne. » Pas mal quand même comme charnière.