Jour J. Les organisations syndicales et patronales démarrent, ce jeudi 27 février, une série de réunions pour « améliorer » la réforme des retraites de 2023. Cette discussion de trois mois, que le Premier ministre a promise « sans tabou », répond aux aspirations de la gauche et à une demande des partenaires sociaux, qui rêvent toujours de faire tomber le totem des 64 ans.
Mais le dialogue s’annonce tendu et risque de finir dans une impasse. Alors que les uns exigent une abrogation totale de la réforme Borne, les autres réclament le statu quo, voire un nouvel allongement de l’âge légal de départ. À côté de ça, une petite musique monte depuis plusieurs semaines : l’incorporation d’une dose de capitalisation dans le système par répartition.
Une hypothèse longtemps prohibée
La ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, a jeté un pavé dans la mare la semaine dernière. La capitalisation « doit faire partie des sujets de discussion », a-t-elle assené sur France Info, alors que le gouvernement était invité à ne pas préempter les discussions. Quelques jours plus tôt, son collègue à la Justice, Gérald Darmanin, plaidait pour « remplacer une partie de la retraite par répartition par de la capitalisation ». De son côté, le ministre de l’Europe, Benjamin Haddad, indiquait vouloir « lever ce tabou et mener la bataille culturelle ».
Car mentionner la capitalisation a longtemps été prohibé dans l’espace politique. « Ce qui est paradoxal, parce que les ménages français ont toujours été des épargnants avec une vision patrimoniale de l’économie », pointe au JDD Bertrand Martinot, auteur du rapport « La capitalisation : un moyen de sortir par le haut de la crise des retraites ? ». Pour l’économiste, la raison est simple : « Les gens y sont réticents pour des raisons idéologiques. Le mot “capital” évoque le capitalisme et les marchés financiers, ça fait peur. »
Jaurès favorable à la capitalisation
Une sémantique que Jean Jaurès avait déjà démystifiée en son temps. « Dans la mesure où la classe ouvrière possède un capital fonctionnant à son profit, toutes les valeurs créées par elle lui font retour ; et la capitalisation, fonctionnant au compte et au profit du prolétariat, n’est pas une consécration du capitalisme ; c’est, sous les formes que permet le système capitaliste et par une application imprévue de son mécanisme, un fragment de socialisation », écrivait le député du Tarn, en 1909, dans un article intitulé « Capitalisme et capitalisation ». Il ajoutait même : « La capitalisation, quand elle fonctionne au profit des ouvriers, est le contraire du capitalisme. »
Dans l’opinion publique, l’idée semble finalement faire son chemin. Selon un sondage Elabe pour BFMTV, près de 6 Français sur 10 seraient favorables à un système majoritairement financé par répartition, mais avec une dose de capitalisation. Plus de 15 millions de personnes en bénéficient déjà. Plusieurs dispositifs existent, comme le Plan d’épargne retraite (PER), qui permet d’accumuler une épargne tout au long de sa vie et de compléter ses revenus au moment de sa retraite sous forme de rente ou de capital avec un avantage fiscal. Ou le régime de retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP), qui permet aux fonctionnaires de cotiser à hauteur de 5 % de leurs primes.
« Le système a un côté cynique. On donne plus à ceux qui ont déjà »
« Le problème, c’est que les salariés les plus modestes ne gagnent pas assez pour épargner et avoir accès à ce genre de dispositifs. Le système a un côté cynique. On donne plus à ceux qui ont déjà. C’est “l’effet Matthieu” », explique Bertrand Martinot, spécialiste des politiques d’emploi. Et d’ajouter : « La capitalisation, dans la mesure où elle est rendue obligatoire pour tous, permettrait à ceux qui n’ont pas la capacité d’épargner de bénéficier des fruits du capital. »
« L’inégalité est effectivement celle-là », abonde Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’Épargne, auprès du JDD. « Le PER existe à travers l’épargne individuelle, mais aussi dans les grandes entreprises, avec les cotisations patronales. Par exemple, si vous travaillez à Groupama, BNP Paribas ou L’Oréal, vous pouvez en bénéficier. En revanche, si vous travaillez dans une PME, vous en êtes exclu », ajoute-t-il.
En outre, pour Bertrand Martinot, incorporer une dose de capitalisation dans le système par répartition serait « un élément de justice sociale » et « soulagerait le poids des générations futures ». Les retraites représentent 14 % du PIB, soit presque un quart des dépenses publiques. S’ajoute à cela la chute de la natalité, qui menace sérieusement le système intergénérationnel. De quatre cotisants pour un retraité en 1960, on en dénombre aujourd’hui 1,7. De quoi faire exploser le déficit. Estimé par la Cour des comptes à 6,6 milliards d’euros en 2024, il pourrait passer à 15 milliards en 2035, puis à 30 milliards en 2045 si rien n’est fait.
Obliger les actifs à investir une partie de leurs cotisations sur les marchés financiers tout au long de leur carrière pour en bénéficier au moment de quitter la vie active pourrait donc simplifier l’équation financière. Mais ces marchés sont régulièrement vilipendés pour leur nature supposée risquée. « La retraite par capitalisation, c’est jouer l’argent des Français en bourse », lançait en novembre dernier le député LFI Hadrien Clouet à l’Assemblée nationale. Un argument contesté par l’économiste Bertrand Martinot : « Thomas Piketty a prouvé que le rendement moyen des marchés de capitaux est toujours supérieur au taux de croissance. D’où l’intérêt de la capitalisation, notamment en période de baisse démographique et de faible croissance. »
Pas une « solution magique »
Pour ne pas dépendre des fonds de pension à l’anglo-saxonne, le spécialiste du travail recommande « la création d’un pilier par capitalisation à l’intérieur du système par répartition, via un fonds national piloté par les partenaires sociaux ». À l’image de l’Agirc-Arrco, le régime de retraite complémentaire obligatoire des salariés du secteur privé, ou du régime de retraite additionnelle de la fonction publique.
En revanche, basculer le régime général par répartition vers un régime hybride intégrant une dose de capitalisation ne serait pas une mince affaire. Le passage au nouveau système impliquerait un double paiement de cotisations des actifs : un premier pour leur retraite future et un second pour financer les pensions des retraités actuels.
Un autre écueil est à éviter pour Bertrand Martinot : « Considérer la capitalisation comme une solution magique. Si l’on estime que les retraites exercent une ponction excessive sur la richesse nationale, la capitalisation ne peut pas se substituer aux efforts à réaliser sur les dépenses. Croire que cette alternative permette par exemple de revenir à un âge légal de 62 ans est un leurre. » En attendant, peu de chances que ce sujet soit à l’ordre du jour du « conclave » des retraites entre partenaires sociaux et patronat. Le syndicat Force ouvrière a déjà claqué la porte et dénonce « une mascarade ». Prometteur.