Initialement fondée sur des approches volontaires et des textes de référence issus du droit international sans valeur contraignante, la responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE) et les enjeux de durabilité qui lui sont inhérents ont fait leur entrée depuis quelques années dans un arsenal législatif de plus en plus contraignant, mettant en cause la responsabilité des entreprises devant les tribunaux.
Renforcement du cadre législatif
La signature de l’Accord de Paris en 2015 a constitué une prise de conscience collective des enjeux climatiques et de durabilité pour que la transition écologique soit également une transition socialement juste.
S’en est alors suivi un renforcement des cadres réglementaires et législatifs, mais aussi des actions en justice.
La France a posé un premier cadre avec l’adoption en mars 2017 d’une loi sur le devoir de vigilance obligeant les grandes entreprises françaises à mettre en place un plan de vigilance afin d’identifier et de prévenir les risques d’atteintes aux droits humains fondamentaux, de dommages corporels ou environnementaux graves ou de risques sanitaires résultant des activités de la société ou de ses sous-traitants.
Au niveau européen, l’arsenal législatif s’est, lui aussi, renforcé autour du Pacte Vert (Green Deal), pour répondre aux objectifs d’atteinte de neutralité carbone en 2050.
Ont ainsi vu le jour les textes tels que le règlement sur la taxonomie verte, la directive Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) qui vise à harmoniser et à fiabiliser le reporting extra-financier des entreprises, ou encore le règlement Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR) qui concerne les produits financiers.
Multiplication des actions en justice
Ces textes, dont les exigences sont en train d’être revues à la baisse à Bruxelles avec le projet Omnibus, visent une plus grande transparence de la part des entreprises et des acteurs financiers. Ils sont assortis d’un système de contrôles, mais pas de sanction.
Mais d’autres textes, comme la directive européenne sur le devoir de vigilance, prévoient un système de sanctions administratives, avec des amendes pouvant aller jusqu’à 5% de leur chiffre d’affaires net mondial, et des poursuites judiciaires en responsabilité civile avec de possibles indemnisations des victimes.
Enfin, la responsabilité des entreprises peut être engagée sur le plan pénal. C’est le cas avec la directive sur la criminalité environnementale, adoptée en mars 2024, qui prévoit une liste d’infractions pénales et reconnaît le crime d’écocide.
Face à ces exigences législatives et réglementaires, nous assistons depuis quelques années à une multiplication des actions en justice de la part notamment d’organisations de la société civile.
En France, des grands groupes, tels que La Poste, Casino, Yves Rocher, Carrefour, Auchan, Danone ou encore TotalEnergies(1) ont été poursuivis pour manquement à leur devoir de vigilance.
Les griefs, derrière ces manquements allégués sont divers : emploi de sans-papiers dans la chaîne de sous-traitance, atteinte à la liberté syndicale, contribution à la déforestation, inaction contre la pollution plastique, projets d’oléoduc controversé en Ouganda en raison de ses impacts environnementaux et portant atteinte aux communautés locales…
Les chiffres clés
230
C’est le nombre d’actions juridiques en inaction climatique intentées dans le monde en 2023 à l’encontre des entreprises ou des gouvernements.
Source : London School of Economics.
83%
C’est la proportion des sociétés de gestion françaises qui intègrent des critères environnementaux dans leur politique de vote.
Source : AFG – Étude investissement responsable à fin 2023.
Que font les investisseurs ?
Bien que ces affaires se multiplient, il est encore trop tôt pour déceler un impact boursier ou financier.
Néanmoins, la réglementation, notamment européenne, oblige les investisseurs à prendre en compte les «incidences négatives en matière de durabilité», et donc ce type de controverses ou d’affaires quand ils financent une entreprise.
Ces affaires sont donc susceptibles d’avoir un impact dans l’analyse des investissements et les choix de gestion qui en découlent, notamment en cas de condamnation.
Concrètement, cela peut impacter à la baisse la note de performance extra-financière d’une entreprise.
Mais au-delà de la note ESG («Environnement, social et gouvernance»), l’investisseur peut aussi actionner deux leviers que sont l’engagement et le vote, et ainsi créer des opportunités de dialogue avec les entreprises pour les inciter à progresser dans la prise en compte des enjeux de durabilité.
Ces leviers peuvent être activés individuellement ou collectivement, via des coalitions d’investisseurs pour interpeller certains émetteurs sur des sujets très précis comme les stratégies climatiques, ou sur d’autres thématiques telles que le respect des droits humains, la lutte contre la pollution plastique, la déforestation…
(1) Les sociétés citées ici ne le sont qu’à titre d’information. Il ne s’agit ni d’une offre de vente, ni d’une sollicitation d’achat de titres.