Équiterre presse les gouvernements d’agir pour mettre fin à ce qu’elle qualifie de « gaspillage aberrant ». Dans un rapport dévoilé lundi, l’organisme environnemental réclame l’adoption de lois qui interdiraient la destruction systématique de « tonnes de biens neufs » — vêtements, fournitures scolaires, outils, chaussures — par certaines grandes entreprises. Une pratique qui, selon l’organisme, est non seulement tolérée mais encouragée par la loi.
Première en cause : une loi fédérale qui permet aux entreprises de récupérer leurs droits de douane à condition de démontrer que les invendus ont été détruits. « Ce programme date d’une tout autre époque, de 1998. En 2025, c’est tout à fait aberrant qu’il soit encore en vigueur », commente Julie-Christine Denoncourt, analyste en réduction à la source chez Équiterre. « Ce sont des fonds publics, donc de l’argent des contribuables, qui financent du gaspillage. »
Entre 2019 et 2023, près de 20 millions de dollars auraient ainsi été redistribués à des entreprises ayant détruit volontairement des produits neufs, selon Équiterre. « Cela, c’est simplement les frais de douane [appliqués à] ces biens-là, donc ils valaient probablement beaucoup plus que ça », précise Mme Denoncourt.
Loin d’être marginal, le gaspillage matériel est en hausse au Québec. En 2023, la quantité de matières éliminées en vertu du programme fédéral en question atteignait 685 kg par personne. Or, souligne Équiterre, les données officielles ne captent pas tout ce qui est détruit avant même d’être vendu — un angle mort important du portrait environnemental.
Responsabiliser à la source
Au niveau provincial, Équiterre presse le gouvernement d’adopter une loi interdisant explicitement la destruction de biens neufs, en obligeant plutôt les entreprises à les remettre à des centres de dons, tout en encadrant la pratique afin d’éviter la saturation du réseau.
« D’un côté, on vient limiter les dons en fonction de la capacité réelle de tri des organismes, et d’un autre côté, on interdirait la destruction », explique Julie-Christine Denoncourt. « Donc, les entreprises auraient tout intérêt à produire moins dès le départ, puisqu’elles auraient moins d’avenues pour leurs produits invendus. »
Louis Kemp, président du conseil d’administration de l’Association des ressourceries du Québec et directeur général du centre de dons Dépanne-tout, estime lui aussi qu’une réglementation pourrait avoir un effet en amont sur la chaîne de production. « Plus on va obliger les entreprises à redonner leurs invendus, moins elles vont produire », avance-t-il. « Si elles n’ont plus le droit de détruire leurs produits et qu’elles doivent les céder à des ressourceries, ça risque de les freiner. Elles n’aiment pas trop l’idée que leurs articles se retrouvent à moitié prix ailleurs. »
Au palier fédéral, l’organisme Équiterre réclame la modification du Tarif des douanes canadien et de la Loi de l’impôt sur le revenu afin de mettre fin aux incitatifs à la destruction. Il propose plutôt un crédit d’impôt pour les entreprises qui choisiraient de donner leurs invendus à des ressourceries ou à des friperies. « On pourrait s’inspirer de ce qui se fait en France, en Allemagne ou dans l’Union européenne. »
Un gaspillage systémique, nourri par la surproduction
Le problème, selon Équiterre, s’inscrit dans une logique de surproduction profondément enracinée dans les modèles économiques actuels. « Le principal problème ici, c’est qu’en amont, les entreprises produisent bien plus que ce qu’on est capable de traiter », soutient Mme Denoncourt.
Geneviève Duval, porte-parole du Conseil québécois du commerce de détail, souligne que « la plupart » des détaillants sont sensibilisés à ces enjeux. Selon elle, le cœur du problème se trouve du côté des géants de la vente en ligne. « Je pense que le problème plus lourd vient justement des grandes plateformes comme Shein et Temu. Elles produisent des milliers de nouveaux produits chaque jour, souvent de très mauvaise qualité. Nous, on reçoit des milliers de colis comme ça chaque semaine — des choses qui ne durent pas, qui sont jetées, et des tissus qu’on ne peut pas récupérer, car ils contiennent des fils de plastique. »
La porte-parole des détaillants québécois estime que la qualité médiocre de ces produits limite grandement les possibilités de réutilisation. « Mon inquiétude est beaucoup plus de ce côté-là en ce moment, même si je ne minimise pas le problème chez nos commerçants québécois. »