Pour que le domaine de la finance durable fleurisse, ça prend avant tout un cadre réglementaire robuste. Cette idée est revenue à plusieurs reprises mercredi lors de panels qui se tenaient dans le cadre du Sommet de la finance durable, à Montréal.
Un des secteurs qui est actuellement touché de plein fouet par les changements climatiques est bien sûr celui des assurances. Au Canada l’an dernier, le coût des dommages assurés causés par les intempéries s’est élevé à 8,55 milliards, un record.
Juste après le passage de la tempête Debby en 2024, Beneva a dû gérer en une seule journée le volume de réclamations généralement observé en quatre mois, et a dû payer pour les réparations de 6000 sous-sols.
Tout indique que les évènements climatiques violents vont aller en s’intensifiant dans les prochaines années, ce qui pose évidemment un problème aux assureurs.
« Les gens ont reconstruit de la même façon et nous savons que ça va revenir, s’intensifier, et qu’on va payer encore. Nous n’aidons pas encore nos clients à mieux rebâtir et à s’adapter, et c’est là qu’on doit voir comme assureur comment il est possible de s’attaquer à cet enjeu », a soulevé lors d’un panel Christelle Lim-Severe, leader de pratique en développement durable chez Beneva.
Une chose qui aiderait les assureurs à mieux planifier leurs services, c’est un cadre réglementaire adapté à l’avenir climatique et qui ne menacerait pas de tomber à chaque changement de gouvernement. « Le plus gros succès pour le gouvernement actuel serait des politiques à long terme qui obtiendraient un soutien de plusieurs partis. Si on peut ramener le discours climatique autour des enjeux qu’il a sur les humains et que ça cesse d’être une idée de gauche ou de droite, je pense qu’on peut aller chercher cette collaboration », poursuit-elle.
C’est aussi la vision de Margot Whittington, conseillère principale en politiques pour le Bureau d’assurance du Canada. Elle souhaite notamment qu’il cesse d’y avoir des constructions permises en zone inondable, qu’il y ait davantage de soutien public pour l’adaptation des maisons pour qu’elles résistent mieux aux intempéries et que le programme national d’assurance inondation qui figure au dernier budget déposé par le gouvernement fédéral voie bel et bien le jour.
« Le nouveau premier ministre [Mark Carney] n’a pas tellement parlé de climat durant la campagne, mais il a un background en finance durable, donc on espère voir des développements de ce côté-là », indique Margot Whittington.
Elle souligne déjà que la nomination d’une ministre de la Gestion des urgences et de la Résilience des communautés (Eleanor Olszewski) est « encourageante à voir ».
Domaine industriel
L’importance de la régulation revenait aussi dans un panel sur l’industrie.
« Les codes et les normes sont de gros moteurs de changement. Les clients qui veulent faire un projet majeur d’infrastructures doivent répondre à leurs actionnaires, mais aussi à la réglementation », souligne Laurence Blandford, vice-président Conseil stratégique, Changement climatique et ESG pour la firme de génie et de services professionnels WSP.
« Je suis d’accord que le gouvernement joue un grand rôle pour les nouvelles usines ou les grandes expansions. Que ce soit directement avec des lois ou indirectement, lors de négociations quand une entreprise veut quelque chose du gouvernement », acquiesce Philippe Dunsky, président de Dunsky Énergie+Climat.
Par exemple, le Québec est actuellement un « marché de vendeurs » pour l’électricité, administrée par une société d’État. « On peut dire : si tu veux mon électricité, j’ai mes conditions. Les meilleures pratiques en termes d’efficacité énergétique et d’émissions doivent être respectées », dit-il.
Ces réglementations ne doivent pas uniquement être en amont du processus industriel, mais aussi en aval, souligne Bertrand Millot, chef Investissement durable à la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ).
Il donne l’exemple d’une cimenterie qui fabriquerait du ciment vert qui coûte 40 % plus cher aux clients, et qui aurait donc de la difficulté à l’écouler. « Il faut réduire les risques pour les compagnies, c’est très important. Par exemple, le gouvernement peut dire que la prochaine fois qu’il construit un pont, il achète du ciment vert », dit le représentant de la Caisse qui détient des participations dans une cimenterie en Gaspésie.
« Un autre exemple : le carburant aérien durable coûte beaucoup plus cher que le carburant ordinaire. Des mesures sont en train d’être prises notamment dans l’Union européenne pour forcer un certain taux de carburant durable dans les avions. Ainsi, toutes les compagnies aériennes qui vont atterrir en Europe joueront avec les mêmes règles », ajoute-t-il.
Par ailleurs, Bertrand Millot affirme que les entreprises gagneraient à se défaire rapidement de l’idée que leurs processus sont en vigueur depuis trop longtemps pour être changés. « Les changements climatiques s’en viennent, et il y a des risques », dit-il.
« Quand l’équipe de la maintenance décide de changer la climatisation d’une usine car elle est en fin de vie, il faut qu’elle sache qu’elle ne peut pas juste faire une équivalence et prendre un modèle qui aura la même capacité de refroidissement, car il fera plus chaud à l’avenir. La question climatique doit rentrer dans tous les départements, ils doivent tous y réfléchir. »
Le bon moment pour être leader
Il s’agirait d’un bon moment pour que le Canada s’impose comme un leader en termes de politiques publiques favorisant les investissements durables, surtout alors que le président des États-Unis, Donald Trump, est en train de déconstruire des mesures mises en place par son prédécesseur.
« Le Canada, en tant que pays, est un leader mondial. Plusieurs autres pays regardent ce qui s’y fait [comme politiques publiques] et font des copier-coller. C’est intéressant en termes de leadership », souligne Stephen Nolan, directeur général des Centres financiers pour la durabilité du Programme des Nations unies pour le développement, qui était de passage à Montréal pour le sommet.
Selon le Forum économique mondial, moins de 3 % des projets d’adaptation sont financés par le secteur privé. Marina Severinovsky, cheffe de la durabilité pour les Amériques pour le groupe de gestion d’actifs britannique Schroders, affirme qu’il est crucial pour un pays de s’assurer d’attirer des investissements privés dans ce secteur, qui peut s’avérer fort lucratif.
« Les politiques gouvernementales ont beaucoup d’impact sur les retours à long terme pour nos clients. Le message qu’on veut passer, c’est que si vous avez une bonne politique, on est bien placés [comme groupe de gestion d’actifs] pour amener du capital privé », lance-t-elle.