Arnaques aux cryptomonnaies, diamants imaginaires, faux livrets d’épargne… Les filous de la finance ne manquent pas d’imagination pour délester de leurs économies les petits épargnants crédules. Un butin estimé, en France, à 500 millions d’euros par an.
Plus d’un millier de victimes, 850 parties civiles, 150 avocats, 28 prévenus… Le procès de la gigantesque arnaque aux diamants et aux crypto-monnaies, qui s’est tenu durant trois semaines à Nancy jusqu’à la mi-novembre, restera dans les annales. « Dans l’histoire judiciaire de notre pays, c’est du jamais-vu pour une escroquerie de ce genre, estime Arnaud Delomel, un avocat rennais spécialisé dans les fraudes aux placements financiers. Il a fallu louer le palais des congrès, le tribunal de Nancy était trop petit pour accueillir toutes les parties prenantes ! » Le jugement, attendu pour le 31 mars, pourrait être exemplaire, le procureur ayant requis jusqu’à huit ans de prison à l’encontre des charlatans.
Cette affaire risque aussi de laisser un goût amer aux petits épargnants. Non seulement les chefs de ce réseau d’escrocs ultra-organisé n’ont toujours pas été extradés de leur fief israélien, d’où ils ont opéré entre 2016 et 2019. Mais en prime, les victimes pourraient bien ne jamais récupérer leurs fonds. Car à ce jour, la justice n’a pu saisir qu’un maigre dixième des quelque 28 millions d’euros volés, avant d’être transférés dans les banques d’une vingtaine de pays.
Un héritage de 280 000 euros englouti dans de faux bitcoins
La morale de l’histoire ? « Méfiez-vous des discours trop beaux pour être vrais, en particulier face à des offres présentant des rendements élevés tout en minorant des risques », alertait encore en décembre l’Autorité des marchés financiers (AMF). Les cibles privilégiées des escrocs sont souvent des proies fragiles – petits retraités, personnes invalides, en dépression ou endeuillées. « Cette détresse psychologique empêche souvent les victimes d’avoir les idées claires, et les escrocs en profitent, confirme Nicolas Gaiardo, rédacteur en chef de warning-trading.com, un site spécialisé dans le décryptage de ces arnaques financières et qui propose de mettre en relation victimes et avocats. J’ai en tête l’exemple d’une assistante maternelle toulousaine qui venait de perdre son fils de 18 ans, renversé par un chauffard, et qui s’est laissée abuser, en croyant réinvestir 280 000 euros de sa prime d’assurance décès dans un placement frauduleux en bitcoin ».
Aujourd’hui encore, les malfrats sans foi ni loi continuent d’amasser un formidable pactole qui atteint 500 millions d’euros par an, rien qu’en France, selon les estimations du parquet de Paris. Leur méthode : des promesses de rendements alléchants diffusées sur YouTube ou Facebook, via des campagnes d’e-mailing, ou sur des sites Web conçus de toutes pièces.
Plus de 5000 sites frauduleux
C’est ainsi qu’en 2017, Annie a perdu 7 600 euros en pensant placer cette somme, pour partie héritée de son père, dans des diamants. «Ce site m’avait paru tout à fait crédible, il incitait d’ailleurs à la confiance en diffusant un extrait du journal de 20 heures présenté par David Pujadas évoquant une ruée sur le diamant avec des prix qui s’envolaient», se souvient cette assistante sociale de Loire-Atlantique. Après avoir laissé ses coordonnées, un soi-disant conseiller commercial l’a harcelée au téléphone, jusqu’à ce qu’elle engage ses économies. Mais une fois son virement effectué, le numéro du commercial ne répondait plus. Annie n’a plus jamais revu la couleur de son argent.
Des témoignages comme ceux-là, l’association de défense des consommateurs ADC France, basée en Lorraine, en reçoit quasiment tous les jours. «Sur l’année 2024, le montant cumulé des préjudices dépasse les 85 millions d’euros, rien que pour les victimes françaises qui nous ont contactés, soit une hausse de 37% par rapport à 2023 et de près de 80% comparé à 2022», s’alarme Guy Grandgirard, son président. Ce chasseur d’arnaques a recensé plus de 5 000 sites frauduleux dans de nombreux domaines : faux livrets d’épargne, crédit immobilier bidon, escroquerie à la cryptomonnaie, pseudo-investissements dans des panneaux photovoltaïques, des places de parking ou des bouteilles de vin…
Les escrocs innovent
Car pour flouer un maximum de personnes, les aigrefins, en champions du marketing, diversifient tous azimuts leurs offres mensongères. «Ils testent d’abord le marché en proposant régulièrement de nouveaux produits d’appels qui surfent sur les tendances et les modes», résume Guy Grandgirard. Les propositions d’investissement dans le diamant ont ainsi eu la cote jusqu’en 2017. Puis l’envolée du bitcoin a conduit les fraudeurs à promouvoir les cryptomonnaies. La grande volatilité de ces devises les a aussi incités à explorer d’autres investissements, parfois atypiques, comme celui du bail à cheptel, qui consiste à investir dans des vaches laitières. «Ce placement a connu son heure de gloire mais n’a duré qu’un temps, parce qu’il n’était pas assez lucratif pour les escrocs. Le ticket moyen ne dépassait pas 7 000 euros», explique encore l’expert. Le vin, en revanche, continue de marcher. Les victimes qui tombent dans le panneau investissent au moins le double.
Redoutables VRP
En pure perte, bien sûr. Mais les bonimenteurs de la finance sont si doués qu’ils seraient capables de vendre au prix fort un bol de glaçons à un Esquimau. Pour le vin, par exemple, les filous font miroiter aux petits épargnants d’imminentes ventes aux enchères organisées auprès de riches émirs qatariens, censées faire flamber le prix des grands crus. En pleine pandémie de Covid, ces super-VRP de l’entourloupe avaient aussi eu l’audace de promettre des rendements annuels – et garantis ! – de 12% sur des pseudo-places de stationnement dans des aéroports de l’Europe du Sud. Alors même que les avions restaient cloués sur les tarmacs et que les parkings étaient vides pour cause de confinement… L’affaire tournait si rond que les aigrefins ont fait grimper le ticket d’entrée aux alentours de 60 000 euros, en vendant des espaces de stationnement dernier cri, prétendument dotés de bornes électriques.
Usurpations de vraies maisons de crédit
Certes, certaines arnaques ont fait pschitt, comme celles proposant d’investir dans le vinaigre balsamique, le métavers ou la fusion nucléaire, par exemple. Mais de nombreuses embrouilles bien rodées continuent de faire des ravages, à l’instar des faux crédits. En septembre, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), rattachée à Banque de France, avait d’ailleurs donné l’alerte. Pour crédibiliser leur discours, les escrocs usurpent les logos de vraies maisons de crédit. Une fois la fausse offre d’emprunt signée, ils demandent aux victimes de virer leur apport personnel sur des comptes parfois ouverts dans de vrais établissements, mais sur lesquels ils ont la main. Selon l’ACPR, le préjudice moyen s’élèverait à 19 000 euros par victime.
Attention aussi aux faux livrets d’épargne aux rendements trop généreux pour être honnêtes. L’arnaque, qui a le vent en poupe, est une martingale pour les crapules, car les épargnants trop crédules y laissent une bonne partie de leurs économies, 69 000 euros en moyenne. Les escroqueries aux cryptomonnaies, les plus nombreuses depuis mi-2023, semblent un peu moins rémunératrices pour les fraudeurs, puisque le préjudice moyen tournerait aux alentours de 30 000 euros.
Bis repetita
Pour faire gonfler leur pactole, les pillards ont mis au point une nouvelle supercherie … en arnaquant une deuxième fois leur victime ! Dominique, un retraité isérois de 68 ans, en a fait la cruelle expérience en fin d’année dernière. « J’avais reçu un e-mail d’un soi-disant cabinet d’avocats, basé à Liverpool, qui me disait avoir récupéré les 30 000 euros que j’avais effectivement perdus, suite à une première escroquerie, confie-t-il. Puis j’ai eu un échange téléphonique avec une certaine Anna Peter, qui m’a demandé de télécharger un logiciel censé l’aider à vérifier que les fonds récupérés me revenaient bien. Sauf qu’au lieu de me verser l’argent, elle a exploité ce logiciel malveillant pour accéder à mes comptes ». Et elle l’a délesté de 100 000 euros supplémentaires.
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