À l’orée de la cinquantaine, un constat brutal s’impose : alors qu’un homme de 45–60 ans consolide son ascension professionnelle, une femme du même âge accumule un manque à gagner moyen de près de 8000 € par an, d’après l’Observatoire de l’émancipation économique des femmes, dans sa dernière note, publiée le 12 juin 2025 (par la Fondation des Femmes et ViveS Média).
Un double plafond de verre
Les données de l’Insee pour 2019 montrent qu’une femme salariée de 40 à 49 ans touchait en moyenne 22 830 € par an, contre 29 710 € pour un homme du même âge. À 55 ans et plus, l’écart est encore plus abyssal : 21 410 € pour les femmes face à 29 430 € pour les hommes (soit un écart relatif de 27,2% contre 23,1% entre 40 et 49 ans !).
Sur vingt ans, ce manque à gagner cumulé atteint 157 245 €, soit près de 7 862 € par an. Par mois, net et à temps de travail équivalent, l’écart mensuel (dans le privé) passe de 421 € à 40–49 ans à 937 €, à partir de 60 ans.
Ce hiatus, loin d’être anecdotique, tient à une double peine : le sexisme entremêlé à l’âgisme pèsent de concert plus lourd, aux yeux des employeurs, que l’expérience et la maturité.
Pourquoi ce décrochage ?
Les femmes butent sur un « double plafond » : celui du genre, qui freine l’accès aux postes à responsabilités, et celui de l’âge, qui intensifie l’effet du plafond de verre après 45 ans.
Même si l’âgisme touche aussi les hommes seniors, il pèse plus lourd sur les femmes en raison de la conjonction du genre et de l’âge. Près de 17 % des salariées déclarent avoir subi une discrimination fondée sur l’âge, contre 13,8 % des hommes, et 23,7 % évoquent une inégalité liée au sexe. En outre, 68 % des cabinets de recrutement considèrent l’âge comme un facteur potentiellement discriminant, et 47 % reconnaissent éprouver des difficultés à placer une candidate de plus de 45 ans.
Parallèlement, ces données sont intéressantes à mettre en perspective avec le taux de chômage des séniors (55-64 ans) : il est légèrement inférieur chez les femmes (5,7%) que chez les hommes (6,7%). Il apparaît cependant que ce chiffre mérite d’être nuancé pour plusieurs raisons :
– Les femmes sont surreprésentées parmi les personnes comptabilisées comme souhaitant travailler mais non comptabilisées comme chômeuses (car considérées comme « inactives » par les statistiques)
– Elles acceptent plus souvent des emplois précaires (moins rémunérés ou partiels), pour sortir du chômage. Elles sont donc moins nombreuses « sans emploi », mais davantage en situation de « sous-emploi ».
Un cumul d’obstacles
Le temps partiel est en effet une des caractéristiques les plus remarquables de l’emploi féminin en seconde partie de carrière. En 2017, 33,7% des femmes séniores travaillaient à temps partiel, contre 11% des hommes seniors. Ce chiffre atteint 43,3% chez les femmes de plus de 60 ans.
S’ajoutent à cela les interruptions de carrière, congés parentaux ou pauses pour s’occuper d’un proche, qui ralentissent la montée en compétences et diluent l’ancienneté ; chaque arrêt et reprise remet la femme plus loin dans la file d’attente des promotions.
La ségrégation professionnelle liée au genre qui traverse les âges, renforce elle aussi le décrochage : les filières « féminines » (services à la personne, éducation, santé) offrent des rémunérations plus modestes que la tech ou la finance, où les femmes restent sous-représentées.
D’autre part, la grand-maternité et l’aidance peuvent, à cet âge, peser simultanément sur les épaules de ces femmes, déjà grand-mères et encore filles. Selon l’École des Grands-Parents Européens (EGPE), cela représenterait 23 millions d’heures hebdomadaires gratuitement dédiées à la garde d’enfants. De nombreuses grands-mères sont obligées de jongler entre travail et garde des petits-enfants. Cette situation peut même conduire à des aménagements professionnels, comme la réduction du temps de travail ou des départs anticipés à la retraite.
Enfin, la ménopause, souvent ignorée au travail, inflige une baisse de revenu de 4 % à 10 % selon l’intensité des symptômes, d’après une étude britannique « The Menopause Penalty » (Mars 2025).
Conséquences : de la précarité au risque de pauvreté
Dans la « zone grise » des 55–69 ans, se trouvent les personnes ni en emploi, ni en retraite (les NER), trop jeunes pour toucher leur pension et délaissées par le marché du travail. Ils représentent 1/6e de cette tranche d’âge, dont 3 sur 5 sont des femmes. Les réformes de la retraite ont eu pour effet d’accroître leur nombre ces dernières années.
L’écart se creuse avec l’âge. À 62 ans, elles sont presque deux fois plus nombreuses à être NER que les hommes (11% contre 6%).
Une fois à la retraite, l’écart de pension est de presque 40 % (2050 € pour les hommes contre 1268 € en moyenne pour les femmes), entérinant encore les inégalités financières à l’âge mûr.
Les cas de séparations, fréquents, et dans ce contexte d’appauvrissement, sanctionnent sévèrement les femmes. Le nombre chez les plus de 50 ans a doublé, ils représentent maintenant 33,5% du total des divorces. La perte de niveau de vie qui s’ensuit pour les femmes est en moyenne de 22% contre 3% pour les hommes. Et pour les femmes avec enfants, elles sont 34% à basculer dans la pauvreté, contre 8% des hommes.
Comment y remédier ? Collectivement ? Individuellement ?
Pour se prémunir de ces risques, il est possible de mettre en place certains mécanismes, à l’échelle individuelle.
Par exemple, épargner dès le début de sa carrière et placer de l’argent sur un Plan Epargne Retraite peut contribuer à limiter l’impact de la baisse des revenus à la retraite. Penser à ajuster votre contrat de mariage pour vous assurer d’être protégée est également nécessaire.
Mais il semblerait que les solutions se situent principalement à l’échelle de la société, qui doit mieux prendre en compte les difficultés massives auxquelles sont confrontées les séniores. Pour revaloriser les interruptions de carrière, l’Observatoire propose donc 9 mesures :
- Campagne nationale et rapport dédié sur l’emploi des femmes séniores incluant un volet âge-sexe dans l’index égalité.
- Majoration aidance : validation de trimestres retraite pour l’accompagnement des proches.
- Adaptation du C2P (Compte professionnel de prévention) pour reconnaître la pénibilité propre aux métiers féminisés.
- Requalification des métiers du care en carrières durables (équipements, récupération, évolution).
- Protection du temps partiel aidant : maintien des droits à cotisation et fin de la stigmatisation.
- Observatoire NER : mesure et suivi des femmes « ni en emploi, ni en retraite ».
- Recherche et plan Ménopause : financement accru, sensibilisation en entreprise et parcours de soin.
- Formation médecin du travail aux enjeux ménopause et santé osseuse.
- Congés aidants et grand-parentalité rémunérés pour reconnaître le temps consacré aux proches.
En somme, le véritable coût de la séniorité des femmes ne se mesure pas seulement en euros perdus, mais en perte de confiance et en invisibilité sociale. Pourtant, ce constat alarmant porte également un formidable potentiel de transformation : reconnaître, valoriser, accompagner et réparer enfin les inégalités.